Apprenant que le deuxième quincaillier des États-Unis, Lowe's, tentait d'acheter Rona, bon nombre de Québécois ont certainement eu le même réflexe que le ministre des Finances, Raymond Bachand: il faut empêcher ça. Ce fut aussi le nôtre: quoi, Rona, entreprise typiquement québécoise, passerait aux mains d'étrangers?

L'émotion initiale passée, il faut prendre le temps d'analyser la chose froidement. Certes, la direction, les employés (bon nombre sont syndiqués) et les fournisseurs préfèrent le statu quo. Les politiciens aussi. Mais où réside vraiment l'intérêt de Rona et de l'économie québécoise à long terme? Quelle évolution est préférable du point de vue des consommateurs? Et pour les actionnaires, dont la Caisse de dépôt?

En réfléchissant à ces questions, il faut tenir compte du fait que, bien qu'étant considérée comme un «fleuron» de notre économie, Rona a connu des difficultés au cours des dernières années. Certains actionnaires sont d'ailleurs très critiques à l'endroit de la direction, eux qui ont vu la valeur du titre perdre 50% de sa valeur depuis cinq ans. Une fusion avec Lowe's ne pourrait-elle pas remettre Rona sur le chemin de la rentabilité?

C'est loin d'être évident. D'abord, Lowe's a elle aussi connu sa part de problèmes aux États-Unis. Ensuite, Lowe's ne connaît rien du marché du Québec et de la structure très particulière de Rona, caractérisée par la présence d'un grand nombre de marchands propriétaires et par une grande diversité dans la taille des magasins. Les dirigeants de Lowe's assurent qu'ils laisseront à Rona une autonomie maximale, que toutes les décisions continueront d'être prises à Boucherville. L'intention est louable, mais un tel scénario paraît peu réaliste.

La grande inquiétude de M. Bachand et d'autres, c'est qu'une fois avalée par son concurrent américain, Rona achètera de moins en moins de fournisseurs canadiens, notamment québécois. Or, pour plusieurs entreprises d'ici, Rona est un client très important. Là encore, Lowe's cherche à se faire rassurante. Cependant, pourquoi fusionner si ce n'est pas, notamment, pour concentrer ses achats?

Nous voyons donc d'un oeil favorable l'intervention de la Caisse, d'Investissement Québec et du Fonds de solidarité FTQ dans le dossier. Ils pourront faire en sorte que l'intérêt économique du Québec soit tenu en compte dans les décisions relatives à l'avenir de Rona.

Cela dit, il ne faut pas protéger Rona à tout prix. Si Lowe's améliore substantiellement son offre, on devra l'analyser sérieusement.

Le vrai sauvetage de Rona passe par une plus grande compétitivité plutôt que par des mesures protectionnistes. Conseillés par des gens compétents en la matière, la Caisse, Investissement Québec et le Fonds de solidarité doivent s'assurer que la direction actuelle a en main une stratégie appropriée et qu'elle est la plus qualifiée pour livrer la marchandise.