C'est aujourd'hui que la France débranche le Minitel, épilogue d'une aventure qui aura duré 30 ans et préfiguré l'internet. Des 9 millions de familles et entreprises branchées au sommet de sa gloire, il en restait 800 000. Ce n'est tout de même pas rien compte tenu des limitations du Minitel, devenues évidentes dès le jour où le World Wide Web est apparu, en 1992-1993.

À sa création, le Minitel offrait essentiellement l'annuaire téléphonique. Quelques années plus tard, la petite boîte brun et beige convoyait 25 000 services: transactions bancaires, titres de transport, informations diverses... et services «roses», rencontres et échanges olé olé, qui firent sa réputation et sa fortune!

Cela n'empêcha pas sa longue agonie.

L'âge d'or du Minitel n'a duré qu'une douzaine d'années, en effet, et cette technologie n'a pas connu de succès à l'exportation. De plus, on se demande toujours si le Minitel a retardé l'expansion de l'internet dans l'Hexagone ou si, au contraire, il a initié les Français à la communication numérique.

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Dans les années 80, le Minitel se présentait comme un fleuron du savoir-faire européen, comparable à la fusée Ariane ou au TGV, développés à la même époque. Mais il serait plus juste de le comparer au Concorde, ce magnifique oiseau supersonique qui vola entre 1976 et 2003. Dans les deux cas, en effet, la prouesse technologique n'a pas été accompagnée par une égale clairvoyance quant au contexte culturel et aux perspectives d'avenir.

Rapide, le Concorde était petit, délicat et coûteux. Il était réservé à l'élite, en somme, au moment où Boeing faisait voler son 747, énorme, robuste, bon marché, parfaitement adapté à l'ère du tourisme de masse et toujours en service.

De même, on a conçu le Minitel en mode vertical, dirigiste et centralisé avec France Télécom au sommet de la pyramide... sans oublier de distribuer les privilèges commerciaux aux éditeurs de journaux, notamment, bien branchés à l'Élysée. (Par une belle ironie, le Minitel rose aura donc fait sa juste part pour sauver la très sérieuse presse écrite, notamment Le Nouvel Obs avec son célèbre service 3615 ALINE!) Or, l'ère numérique ne s'accommodera pas d'une telle configuration. L'internet est construit à l'horizontale, n'a ni centre ni patron, ne consent aucun privilège.

Pouvait-on prévoir cette petite révolution culturelle à l'époque où les ingénieurs français planchaient sur ce qui allait devenir le Minitel? Peut-être pas, même si l'idée d'un «réseau des réseaux» circulait déjà - surtout aux États-Unis, il est vrai - au début des années 70.

Quoi qu'il en soit, les aventures pendant un court moment parallèles du Minitel et de l'internet illustrent bien une caractéristique de ce qu'on appelle le progrès: la technologie n'agit pas dans le vide, elle modifie les modèles culturels et l'architecture sociale.

Et c'est souvent le plus important.

PHOTO : ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

À sa création, le Minitel offrait essentiellement l'annuaire téléphonique. Quelques années plus tard, la petite boîte brun et beige convoyait 25 000 services: transactions bancaires, titres de transport, informations diverses... et services «roses».