Laurent Verreault a quitté le conseil d'administration de Cascades le 10 mai dernier lors de l'assemblée annuelle de ce producteur d'emballages et de papiers tissu. Il y était administrateur depuis 11 ans.

Le président exécutif du conseil et cofondateur du groupe industriel GLV n'était pas le plus ancien administrateur de Cascades. Outre les membres de la famille Lemaire, trois administrateurs (dont un indépendant) sont en poste depuis plus longtemps que lui, avec des mandats qui s'étirent de 16 à 20 ans.

Mais Laurent Verreault était pour ainsi dire un homme marqué, pour une raison qui n'a rien à voir avec sa vivacité d'esprit ou sa connaissance profonde de l'industrie des pâtes et des papiers. Il vient de passer le cap des 70 ans. Et selon une politique non écrite, mais bien établie, c'est à cet âge que les administrateurs de Cascades doivent tirer leur révérence - exception faite des Lemaire, Bernard et Laurent étant âgés de 76 et de 73 ans, respectivement.

Cascades n'est pas la seule entreprise à mettre une date de péremption sur ses administrateurs. Elle se trouve même en bonne compagnie, selon une étude récente de la firme Korn/Ferry International à partir des circulaires de procurations 2010 des 300 plus grandes entreprises du pays. Air Canada (75 ans), Bombardier (72 ans), Canadien National (75 ans), Gildan (72 ans), Metro (70 ans), Rona (70 ans) et SNC-Lavalin (70 ans), entre autres, affichent ouvertement leur politique qui limite l'âge de leurs administrateurs.

Alors que le gouvernement fédéral repousse l'âge de la retraite et que les Canadiens vivent de plus en plus vieux, une telle discrimination peut paraître anachronique. Mais plusieurs entreprises y voient un moyen de renouveler leur conseil d'administration sans avoir la tâche aussi délicate que pénible d'expliquer à un administrateur que sa contribution est à peu près nulle ou que ses connaissances sont dépassées, au vu de la situation de l'entreprise.

Ainsi, Molson Coors vient tout juste d'approuver une politique de retraite forcée de ses administrateurs qui fêtent leur 70e anniversaire dans l'année calendaire qui précède l'assemblée. Politique qui, ici encore, ne s'applique pas aux membres des familles Molson et Coors.

D'autres entreprises, en revanche, ont choisi d'abandonner leur politique sur l'âge de leurs administrateurs.

C'est le cas du groupe de télécommunications Telus, qui a conclu que sa politique n'était plus dans son meilleur intérêt.

«Maintenir la retraite obligatoire à l'âge de 70 ans ferait perdre à l'entreprise des administrateurs qualifiés qui auraient siégé au conseil pour une période relativement courte, expliquait Telus dans sa circulaire de 2007.

"Ultimement, le comité de régie d'entreprise a conclu qu'avec un processus d'évaluation rigoureux, la retraite obligatoire n'est pas le meilleur moyen de renouveler le conseil et de s'assurer que ses administrateurs soient efficaces."

Les entreprises canadiennes sont très divisées sur la question. D'après l'étude de Korn/Ferry, 25% des entreprises canadiennes ont un âge limite pour leurs administrateurs, tandis que 23% spécifient qu'elles n'en ont pas. Les autres, 52% des entreprises, ne dévoilent pas leur politique, bien qu'elles puissent en avoir une, comme c'est le cas pour Cascades. Ce qui ne signifie pas qu'elles n'en pensent rien pour autant.

"Le comité de régie d'entreprise se penche sur la question de la composition du conseil (de Cascades) depuis plusieurs mois, dit sa secrétaire corporative, Louise Paul. Tout est remis en question actuellement, y compris l'âge de la retraite, dans un contexte du vieillissement des administrateurs."

Le problème des conseils d'administration qui ont de la difficulté à se renouveler est bien réel au pays. Il suffit de jeter un coup d'oeil aux conseils du Québec inc. pour voir à quel point certains administrateurs se fondent à la tapisserie tellement ils sont en poste depuis longtemps. Ou encore comment ce sont les mêmes administrateurs que l'on retrouve un peu partout par un beau chassé-croisé de PDG en poste ou retraités.

Faut-il s'étonner par la suite de la proximité entre les administrateurs et les dirigeants qu'ils sont censés mettre au défi de prouver que leur stratégie est la meilleure? Le Canada étant petit, le Québec, plus petit encore, tout ce beau monde se retrouve en plus dans les mêmes soirées de campagnes de souscription pour les musées, les mêmes galas, les mêmes premières de spectacles.

Cependant, limiter l'âge des administrateurs est le mauvais moyen de renouveler les conseils. Il y a de "jeunes" administrateurs qui sont éteints. Il y a des PDG de moins de 70 ans qui siègent à tellement de conseils qu'ils n'ont pas le temps, après avoir géré leurs propres crises, de s'intéresser à fond aux sociétés qu'ils doivent superviser.

Inversement, il y a de "vieux malcommodes" qui peuvent poser de fichues bonnes questions. Tiens, pourquoi devrait-on se priver des conseils d'un Stephen Jarislowsky sous prétexte qu'il a 86 ans?

On peut toujours limiter la durée totale des mandats, comme le font BCE (10 ans) et la Banque Nationale (15 ans). Ou l'on peut demander au président du conseil d'exercer son bon jugement.

Évidemment, pour renouveler les administrateurs au cas pas cas, en fonction de leur contribution réelle, il faut un président du conseil qui soit assez fort pour oser dire à un collègue - qui est possiblement un ami - qu'il n'est plus à la hauteur de la tâche. Ce n'est pas évident. Mais c'est nettement plus facile si le conseil a un processus d'évaluation des administrateurs qui est aussi régulier que rigoureux. Pas une évaluation sur une serviette de table lors d'un dîner bien arrosé.

En fait, cela devrait être l'un des tests pour sélectionner un président du conseil. Avoir l'adresse, le tact et le courage de pouvoir dire à un ami que son temps est passé.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca