Depuis quelques jours, j'ai l'impression de revoir un très mauvais film. Les hauts dirigeants de Research in Motion prennent la porte les uns après les autres. Les rumeurs de coupes sombres se succèdent, après la suppression de 2000 emplois l'été dernier.

Le Globe&Mail a évoqué l'abolition de 2000 autres postes. L'agence Reuters croit savoir que 6000 emplois passeront dans le collimateur d'ici le début de l'an prochain, ce qui ferait chuter l'effectif de l'entreprise de Waterloo à quelque 10 000 travailleurs. Ce scénario brutal pour RIM ressemble à s'y méprendre aux coupes en série chez Nortel de 2001 à 2009.

En poste depuis trois mois, le nouveau PDG de RIM, Thorsten Heins, est forcé de gérer une décroissance accélérée. En attendant la sortie tant en retard des téléphones opérant sur le nouveau système d'exploitation BlackBerry 10, l'entreprise a de plus en plus de mal à écouler ses appareils. Ainsi, RIM s'attend à une perte d'exploitation à son premier trimestre, dont les résultats seront annoncés le 28 juin.

Research in Motion doit se réinventer. Il ne s'agit pas d'une mission impossible; il n'y a pas si longtemps, on ne donnait pas plus cher des constructeurs de Detroit. Mais pour y arriver, RIM devra envisager des gestes qui sont aussi «Bold» ou audacieux que le nom de sa gamme de téléphones. Pas juste une nouvelle campagne marketing.

RIM l'a reconnu implicitement hier en annonçant l'embauche de la Banque Royale du Canada et de JP Morgan, pour explorer toutes les avenues qui s'offrent au fabricant du BlackBerry.

Spéculer sur ce que RIM doit faire est le jeu préféré des analystes en télécommunications. Scinder l'entreprise en deux, avec le fabricant de téléphones d'un côté et la société de services informatiques, riche de son réseau mondial de serveurs, de l'autre? S'associer à un partenaire et offrir son nouveau système d'exploitation sous licence, comme Heins l'a évoqué à son arrivée en poste?

Abandonner le créneau consommateur et se concentrer sur la clientèle d'affaires? Arianna Huffington n'a-t-elle pas juré, lors de son passage à la conférence C2-MTL la semaine dernière, qu'elle resterait fidèle au BlackBerry à la vie à la mort?

Mais depuis une semaine, le buzz des analystes porte sur un possible rachat de Research in Motion par Facebook. Les paparazzis n'ont pas repéré le grand Thorsten Heins attablé en compagnie de Mark Zuckerberg au café Madera de Menlo Park, où se trouve le siège social de Facebook. Cette rumeur tient plus de la déduction informée.

Le raisonnement est le suivant. Facebook envisage de lancer son propre appareil sans fil. Mais comme l'entreprise part de zéro, l'achat de RIM pourrait représenter un formidable raccourci, bien qu'il s'accompagne de tout un défi (cauchemar?) d'intégration.

Pourquoi diable Facebook veut-il offrir son propre téléphone? C'est une idée que Mark Zuckerberg envisage depuis 2010, selon quelques sites spécialisés en techno. Alors que les téléphones remplacent de plus en plus les ordinateurs, Facebook craint de devenir une application qui sera simplement téléchargée sur les appareils des autres.

Pour expliquer la mauvaise réception faite à l'action de Facebook en Bourse, plusieurs analystes ont d'ailleurs montré du doigt la présence négligeable de Facebook dans l'univers mobile. (Facebook mène un projet en collaboration avec HTC.) Comment Facebook tirera-t-elle profit de l'explosion du sans-fil?

Ajoutez à cela l'acquisition récente du fabricant de téléphones Motorola par le moteur de recherche Google, et vous comprenez pourquoi Facebook jalouse son plus grand rival dans le marché de la publicité internet.

Reste à voir le comment. Le New York Times a rapporté la fin de semaine dernière que Facebook maraude chez Apple. L'entreprise aurait constitué une petite équipe d'ingénieurs qui ont planché sur l'iPhone.

La perspective que Facebook conçoive et produise son propre téléphone a toutefois suscité une condamnation sans appel. Avec raison.

Un journaliste de Fortune a dit qu'il s'agissait de la pire idée depuis le projet condamné du Palm Pre. Le blogueur Henri Blodget a écrit que si Facebook se lançait dans la fabrication de téléphones, un geste défensif, les investisseurs devraient prendre leurs jambes à leur cou en criant.

Aussi futé que soit Zuckerberg, il faut être drôlement arrogant pour penser que l'on puisse se lancer dans la fabrication et se tailler une place dans cette industrie manufacturière sophistiquée, avec des acteurs solidement établis.

À moins que ces ingénieurs ne servent à conseiller Facebook pour une association plus étroite avec un fabricant de sans-fil, voire une acquisition.

Research in Motion offre un réseau hautement sécurisé, une clientèle recherchée, une richesse de talents et un trésor de brevets à un prix d'aubaine. Cependant, RIM n'est pas la seule candidate potentielle. Facebook pourrait tout aussi bien s'intéresser au fabricant de téléphones HTC.

Facebook pourrait aussi s'associer à Samsung, le rival le plus sérieux d'Apple. Une association serait nettement moins complexe que l'intégration d'une entreprise avec une culture d'affaires très différente.

Malgré ses difficultés boursières, Facebook a du temps devant elle et l'embarras du choix. Ce qui n'est pas le cas de RIM.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca