Incroyable! La Caisse de dépôt et de placement du Québec a fait fi de l'éclatement du scandale qui terrasse à l'échelle mondiale la crédibilité de SNC-Lavalin pour augmenter considérablement sa position dans le capital-actions de la multinationale du génie-conseil.

En cette accablante année 2011, les gestionnaires de portefeuilles de la Caisse ont acheté sur le marché quelque 3,5 millions d'actions additionnelles de SNC-Lavalin, pour un investissement dépassant les 150 millions de dollars.

En date du 31 décembre dernier, la Caisse détenait un bloc de 8 872 250 actions de SNC Lavalin, demeurant ainsi le deuxième plus gros actionnaire de l'entreprise avec 5,9% des actions en circulation. La Caisse n'est devancée que par la firme Jarislowsky Fraser.

Lors de ce dernier relevé qui a été récemment rendu public avec le dépôt du rapport annuel, la Caisse évaluait la valeur de son investissement dans SNC-Lavalin à 453 millions de dollars, soit 51,08$ l' action. C'était à ce moment-là son sixième plus gros placement de tout son gigantesque portefeuille d'actions cotées en Bourse.

À la suite d'autres troublantes révélations financières, le titre a fortement reculé. Il peine présentement autour des 37,00$. En supposant que la Caisse a conservé la même position, son bloc de SNC Lavalin vaut aujourd'hui quelque 328 millions, soit 125 millions de moins qu'à la fin de décembre dernier. On parle ici d'une perte sur papier de l'ordre 25% en l'espace d'à peine quatre mois.

Que la Caisse mange une claque boursière avec un de ses gros placements en portefeuille, cela fait partie des risques que les grands investisseurs institutionnels peuvent courir.

Mais là où la Caisse a vraiment fait preuve de laisser-aller et d'incompétence, c'est sur son site Internet où elle continuait de vanter démesurément son investissement dans SNC-Lavalin jusqu'à mercredi matin dernier, 2 mai.

Il a fallu que les médias rendent publique la lettre d'inquiétudes qu'elle a envoyée le 30 avril au président de SNC-Lavalin pour que la Caisse de dépôt et placement cesse de promouvoir son placement dans la multinationale du génie-conseil.

Dans cette lettre, Marie Giguère, première vice-présidente Affaires juridiques et secrétariat, fait référence au scandale de la façon suivante.

«Par contre, comme c'est le cas pour d'autres investisseurs, plusieurs de nos questions quant aux événements récents et aux nombreuses allégations faites au sujet de la société restent en suspens et nous tenons à vous exprimer notre malaise. Nos questionnements par rapport à la résolution sur la rémunération ne portent donc pas principalement sur le programme de rémunération, mais plutôt sur les montants consentis à des membres de la haute direction alors que des enquêtes et des procédures sont toujours en cours.»

«La Caisse s'attend donc à davantage de transparence à cet égard compte tenu de la nature extrêmement sérieuse de ces allégations et à ce que soient rendus publiques les mesures qui seront mises en place pour s'assurer que de tels événements ne se reproduisent plus», conclut Mme Giguère.

À la lecture de cette missive, il est clair que la haute direction de la Caisse suivait de très près les troublants événements qui ont été divulgués depuis l'éclatement du scandale à la fin de février 2011.

Deux mystères. Premièrement, comment se fait-il que la Caisse, en tant que société d'État et plus gros investisseur institutionnel au Canada, ait décidé d'investir plus 150 millions de dollars dans une entreprise sur qui pèsent de douteuses relations d'affaires? Il me semble que la moindre des choses aurait été d'attendre le dénouement des enquêtes avant d'augmenter sa position de 60% dans le titre de SNC-Lavalin.Deuxième mystère. Dans ma chronique du 5 mars dernier «SNC-Lavalin, le chouchou de la Caisse», je dénonçais la promotion que la Caisse faisait sur son site Internet à propos de son investissement dans SNC-Lavalin.

Pour expliquer son «processus rigoureux» d'investissement, la Caisse vantait son placement dans SNC-Lavalin.

«Fleuron mondial de l'ingénierie et de la construction, SNC-Lavalin est un partenaire de longue date de la Caisse. Depuis 1999, le Groupe Placements privés a conclu trois partenariats... Après avoir longtemps suivi le cours de l'action, l'équipe des marchés boursiers a acquis des titres en 2006, 2007 et 2008. Aujourd'hui, la Caisse est le deuxième plus gros actionnaire de SNC-Lavalin, avec près de 4% des actions.»

«Un investissement comme celui dans SNC-Lavalin, explique la Caisse, est un travail d'équipe qui requiert une analyse attentive et une expertise approfondie...»

Pendant que la Caisse vantait à tour de bras son placement dans SNC-Lavalin, l'entreprise, elle, faisait l'objet depuis un an d'un immense questionnement sur ses pratiques d'affaires, notamment avec le régime de l'ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi.

De plus, avant la publication de ma chronique, SNC-Lavalin avait annoncé le report de ses résultats financiers du quatrième trimestre et le déclenchement d'une enquête interne concernant des charges surprises de 35 millions pour des paiements effectués sur des projets auxquels ils ne se rapportaient pas...

Et une requête pour obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif contre la multinationale et certains de ses dirigeants et administrateurs avait été précédemment déposée.

Qu'a fait la direction de la Caisse à la suite de ma chronique et des enquêtes et perquisitions?

Elle s'est contentée d'exclure de son apologie sur SNC-Lavalin les mots suivants: «Fleuron mondial de l'ingénierie et de la construction».

La promotion du placement dans SNC-Lavalin s'est poursuivie sur le site internet de la Caisse jusqu'à mercredi matin dernier, deux jours après la lettre d'intervention de la première vice-présidente Affaires juridiques de la Caisse.

Qui manque de jugeote à la Caisse?