C'était une bonne journée pour le groupe Maple, qui n'en a pas connu beaucoup ces derniers mois. Au lieu de nous annoncer l'énième prolongation de son offre d'achat sur le premier groupe boursier du pays, le consortium piloté par Luc Bertrand avait enfin une nouvelle réjouissante à communiquer.

L'Autorité des marchés financiers du Québec (AMF) donne le feu vert à son projet d'acquérir le Groupe TMX, propriétaire des bourses de Toronto et de Montréal. L'AMF est même disposée à approuver l'achat subséquent de la plateforme boursière Alpha et de la chambre de compensation CDS, à la condition que Maple prenne des engagements additionnels. Ces engagements ont notamment trait aux tarifs réclamés par CDS, un monopole qui chercherait dorénavant à faire des profits, ce qui fait craindre un abus de sa position dominante.

«Nous sommes satisfaits du résultat des échanges entretenus jusqu'à ce jour avec Maple et de la portée des engagements qu'elle devra prendre», a dit le PDG de l'Autorité, Mario Albert.

Cette approbation n'était pas acquise, compte tenu des fortes réticences exprimées l'automne dernier par l'AMF. «Maple ne propose pas d'engagement spécifique cristallisant l'intention de faire de Montréal le centre d'excellence en dérivés et le pôle d'attraction des activités relatives aux produits dérivés et aux produits connexes», déplorait l'AMF dans son avis de consultation publique.

À l'évidence, Luc Bertrand et ses associés ont su se montrer persuasifs. Mais l'AMF a aussi tenu son bout pour que le développement des produits dérivés (en bourse et hors cote) se fasse à Montréal, tout comme les mises à jour éventuelles du logiciel Sola, qui a été développé dans la métropole.

«Les nombreux échanges avec Maple ont permis de répondre aux préoccupations de l'Autorité et de bonifier les engagements initialement proposés», a noté l'autorité boursière du Québec.

Du côté de l'Ontario, toutefois, les progrès de Maple sont moins nets. Cela ressemble un peu à un cas de un pas en avant, un pas en arrière. Le personnel de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario rédigera des ébauches d'ordonnances de reconnaissance, que le public pourra ensuite commenter pendant 30 jours.

Ces ébauches contiendront des «conditions générales détaillées» dont la commission ontarienne n'a pas précisé la teneur exacte.

En entrevue, Luc Bertrand a cherché à minimiser les difficultés que ces conditions pourraient poser. «Quand on est rendu à la rédaction des ordonnances, c'est qu'on s'est entendu sur les grands principes», a dit le chef de la direction de Maple.

On ne peut pas en dire autant du côté du Bureau de la concurrence. Cet organisme a droit de vie ou de mort sur cette transaction de 3,8 milliards de dollars. Et jusqu'ici, la commissaire à la concurrence, Melanie Aitken, n'a exprimé que des «réserves sérieuses» au sujet des effets de cette transaction sur la concurrence.

Les tarifs de la chambre de compensation CDS peuvent toujours être réglementés. Mais l'achat par Maple d'Alpha, le principal concurrent de la Bourse de Toronto, est plus épineux. Réunies sous un même toit, Alpha et Toronto accaparent plus de 80% du volume de négociation d'actions au pays.

Le plus simple serait que Maple abandonne l'achat d'Alpha comme condition essentielle à son projet. Mais hier encore, Luc Bertrand a affirmé que la transaction est à prendre ou à laisser. L'on comprend que si Maple n'a plus une aussi grande emprise sur le marché boursier canadien, les institutions internationales qui financent cette transaction pourraient être moins intéressées à lui prêter les fonds nécessaires. Ou encore pourraient-elles le faire à des conditions moins intéressantes. Ce qui pourrait créer des remous au sein du consortium, qui regroupe 13 des plus grandes institutions financières et caisses de retraite au pays.

Même lorsque la vie est un long fleuve tranquille, c'est difficile de faire tenir tout ce beau monde dans la même barque, alors imaginez quand cela brasse.

Déjà, Maple devra retourner devant ses financiers pour leur demander de prolonger l'entente de financement convenue l'année dernière. Et cela, parce que Maple est incapable de respecter la date butoir du 30 avril que ce consortium avait fixée pour la réalisation de la transaction.

Comment se fait-il que l'examen du Bureau de la concurrence prenne autant de temps? Qu'il soit pour ou contre cette transaction, ou qu'il ait encore des réserves sérieuses, cet organisme devrait trancher plus rapidement.

(Évidemment, Maple a aussi sa part de responsabilité dans ce processus qui s'étire. Que je sache, ce consortium n'est pas encore arrivé à s'entendre avec tous les actionnaires d'Alpha sur le prix d'achat de cette plate-forme de négociation.)

«On a y arriver, a philosophé Luc Bertrand d'un ton diplomatique. C'est un processus qui est long.»

À la fin, toutefois, c'est peut-être ce qui menace le plus le projet Maple: le temps qui passe. Rappelez-vous le rachat avorté de BCE par un groupe piloté par la caisse de retraite ontarienne Teachers'. Je sais, on ne refait pas l'histoire avec des si. Mais si BCE avait acheté la paix dès le départ avec les détenteurs d'obligations récalcitrants, la transaction n'aurait pas terminé devant les tribunaux et remonté jusqu'à la Cour suprême du Canada, une contestation qui s'est étirée sur de longs mois.

Entre-temps, la folie des achats adossés est passée. Et Teachers' a sauté sur la première porte de sortie pour se défiler de cette transaction de 51,7 milliards de dollars. En bénissant le ciel pour tous ces délais.

Pour Maple, le temps est tout aussi compté.