Pour les propriétaires de Montréal, le choc ne sera pas trop difficile à encaisser. En 2012, la hausse de leur facture d'impôt et de taxes se limitera à 3% en moyenne - exception faite des arrondissements qui ajoutent leur petite touche personnelle.

À peu de choses près, cela équivaut à l'inflation. Rien à voir avec les augmentations salées annoncées par le maire Gérald Tremblay depuis sa réélection en 2009. Après huit années de gel des impôts fonciers, les Montréalais ont goûté au rattrapage fiscal à la vitesse grand V.

Mais tout cela s'additionne. Montréal récolte la palme de la charge fiscale la plus élevée chez les grandes villes du Québec. Ce qui suscite bien de la grogne et des contestations d'évaluation municipale.

Pour canaliser la colère, le maire Tremblay s'est trouvé un bouc émissaire. Il cible les régimes de retraite des 22 000 employés de la Ville, dont les coûts ont quintuplé en 10 ans. C'est ce qui expliquerait la hausse de la charge fiscale des Montréalais, selon lui.

Ce n'est évidemment pas la seule raison pour les hausses d'impôt, vu la gestion douteuse des contrats publics au cours des dernières années. Mais le maire Tremblay a raison de pointer ces régimes de retraite.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Près de 610 millions de dollars; voilà la somme que la Ville consacrera à ces régimes en 2012.

C'est plus que le budget pour les transports en commun et les pistes cyclables. Plus que la somme allouée aux activités culturelles et sportives. Et pas loin derrière le budget du service de police et de sécurité incendie, le plus gros poste budgétaire de Montréal.

En fait, les régimes de retraite grugent 13% du budget total de 4,7 milliards de dollars. Et la progression des coûts est si rapide qu'elle explique la moitié de la hausse des dépenses de 5,2% attendue en 2012.

Dénoncez les marchés financiers en dents de scie. Décriez les taux d'intérêt au plancher. Mais la situation se résume en un mot: intenable.

«Les taxes foncières ont atteint leur limite», dit le maire Tremblay.

Son administration espère réduire de 50 millions par année les coûts de ces régimes au cours de ses négociations avec les syndicats de la Ville. La plupart des contrats de travail expirent le 31 décembre 2012.

Chaude sera l'année. Car il n'y a aucun moyen plaisant d'atteindre cette cible. L'administration Tremblay-Applebaum envisage trois recours.

Le premier: relever l'âge auquel les employés de la Ville peuvent partir à la retraite sans subir de conséquences financières, des pénalités actuarielles dans le jargon. Le maire refuse de préciser cet âge, de négocier en public. Mais dans les coulisses, on parle de reporter de cinq ans l'âge de la retraite avec tous les bénéfices.

L'âge de la retraite varie d'un groupe de travailleurs à un autre, les policiers pouvant rendre leur arme de service vers 45 ans. Cependant, l'âge moyen de la retraite des cols blancs de la Ville de Montréal se situe actuellement à 60 ans. C'est tôt.

Le deuxième: augmenter les cotisations des employés. Actuellement, leurs contributions ne couvrent que 30% des coûts des régimes, le solde étant assumé par la Ville. L'administration Tremblay-Applebaum souhaite qu'employeurs et employé contribuent aux régimes en parts égales.

Le troisième: répartir plus équitablement les risques. Employeur et employés partagent les surplus des caisses de retraite. En revanche, c'est la Ville de Montréal qui ramasse la note lorsque les rendements ne sont plus au rendez-vous.

Le maire Tremblay a illustré son propos par cet exemple d'une précision révélatrice. Normalement, les salariés de la Ville reçoivent un crédit de rente qui équivaut à 2% de leur salaire pour chaque année de service. Quoi qu'il arrive en Bourse.

Dorénavant - car il n'est pas question de toucher au passé -, ce crédit de rente serait réduit à 1,5%. Le solde de 0,5% serait seulement versé lorsque les régimes connaissent de bons rendements. Autrement, cette partie variable serait moindre, voire nulle.

En cas de débâcle boursière, la Ville de Montréal aurait donc une porte de sortie. Techniquement, cela reste ce que l'on appelle des régimes à prestations déterminées, même si seulement les trois quarts de la rente de retraite sont garantis.

«Ce sont des demandes légitimes», plaide le maire Tremblay.

Pour les travailleurs syndiqués de la Ville, les changements envisagés sont majeurs et pénibles. Mais, en même temps, ils sont plus timides que ceux que subissent les employés du secteur privé. Cela, c'est quand ils ont un régime de retraite complémentaire!

Seulement le tiers des travailleurs du Québec (35%) ont ce privilège, selon des données de 2005. Et depuis la crise financière, la pression est forte pour convertir les régimes de retraite avec revenus garantis en régimes à cotisations déterminées, où seule la ponction sur le chèque de paie est connue.

Dans le contexte, il y a quelque chose d'indécent à refiler la facture de la retraite des employés de la Ville à des propriétaires qui se demandent comment ils vont assurer leurs vieux jours. Surtout que les employés municipaux sont significativement mieux traités que les fonctionnaires du gouvernement du Québec et les employés du secteur privé, selon l'Institut de la statistique du Québec.

Pas besoin de verser dans la démagogie pour constater cette iniquité, ce fossé.

Les négociations actuelles avec certains groupes d'employés (cadres, cols bleus) vont «raisonnablement bien», a noté le maire Tremblay. Chez les policiers et les pompiers, par contre, il n'y a qu'une «ouverture». Traduction: cela accroche.

Reste à voir si l'administration Tremblay-Applebaum tiendra son bout. Car si le passé nous a enseigné quelque chose, c'est que le fusil sur la cuisse et la hache à la ceinture sont des armes de négociation redoutables.

Pour joindre notre chroniqueuse: scousineau@lapresse.ca