Alors que les protestataires du mouvement Occupy Wall Street se font de plus en plus chasser des squares où ils campent depuis des semaines, l'une de leurs revendications fétiches revient en force.

La taxe sur les transactions financières n'a jamais reçu autant d'appuis en haut lieu. Et cela, même si cette taxe controversée a été maintes fois discréditée depuis quatre décennies.

Lundi, la chancelière d'Allemagne, Angela Merkel, est revenue à la charge en réclamant une réglementation financière stricte dans les 27 pays de l'Union européenne. La taxe sur les transactions financières est au centre des mesures qu'elle souhaite instaurer.

À défaut d'une entente, compte tenu d'une opposition britannique féroce, cette taxe Robin des Bois pourrait s'appliquer aux seuls pays de la zone euro, a concédé Angela Merkel. Dix-sept pays règlent leurs achats avec l'euro.

Cette croisade, c'est aussi celle de Nicolas Sarkozy, qui parle d'une taxe «moralement incontournable».

À la veille de la dernière rencontre des pays du G20, à Cannes, le président français a commandé à Bill Gates un rapport sur le financement de l'aide internationale. L'ancien PDG de Microsoft, qui se consacre maintenant à la philanthropie, a cautionné cette taxe comme l'un des moyens pour combattre la pauvreté et la maladie dans le monde. Et cela, au moment où les pays les plus riches, aux prises avec leurs propres difficultés, se replient sur eux-mêmes.

Ces leaders se trouvent en bonne compagnie. Gordon Brown, Warren Buffett et même George Soros se sont prononcés en faveur d'une telle taxe. Ce qui ne manque pas d'ironie quand l'on sait que George Soros a monté sa fortune en spéculant sur la chute de la livre sterling, en 1992.

«On ne peut les cataloguer comme une bande d'anticapitalistes naïfs», a noté Rowan Williams, archevêque de Canterbury, dans une lettre au Financial Times.

La taxe sur les transactions financières qu'ils envisagent est une version contemporaine de la taxe proposée en 1972 par James Tobin, un économiste de Yale qui a remporté un prix Nobel.

La taxe Tobin, comme elle est d'ailleurs surnommée, devait s'appliquer aux transactions sur les devises afin de couper court à la spéculation et de protéger les économies les plus vulnérables. Ces pays seraient plus enclins à ouvrir leurs marchés et à commercer avec le monde.

Au grand dam de James Tobin, un partisan du libre-échange, les militants antimondialisation se sont appropriés cette idée dans les années 90, pour en faire leur revendication.

La taxe évoquée aujourd'hui ne s'appliquerait pas seulement aux devises, mais à toutes les transactions financières: actions, obligations, produits dérivés. Il s'agirait d'une taxe de quelques points de pourcentage. Imperceptible aux investisseurs à long terme, elle permettrait d'amasser des sommes considérables.

Bill Gates a calculé qu'une taxe de 10 points centésimaux sur les actions et de 2 points centésimaux sur les obligations permettrait de récolter 48 milliards US dans les pays du G20. Si les grands pays européens faisaient cavalier seul, cette taxe rapporterait 9 milliards US.

Certains discutent déjà de la façon dont ces fonds seraient administrés. Par l'ONU, une organisation à l'efficacité douteuse?

Et à qui ces fonds seraient-ils destinés? Aux États fauchés qui ont renfloué leur système bancaire? Aux pays les plus démunis?

Mais c'est mettre la charrue devant les boeufs. Puisque le grand problème d'une taxe sur les transactions financières, c'est qu'elle est inefficace si tous les pays ne l'appliquent pas en même temps. Les courtiers négocieront ailleurs, là où ils peuvent éviter d'être taxés. Or, il y aura toujours une juridiction ou un paradis fiscal qui voudra récupérer cette activité.

C'est ce que font valoir le Royaume-Uni et les États-Unis, qui refusent que leurs capitales financières de Londres et de New York soient éclipsées par Hong Kong, Singapour ou la Suisse.

L'économiste américain Paul Krugman croit toutefois que cet argument ne tient plus la route. La plupart des transactions s'exécutent aujourd'hui par l'entremise d'un nombre restreint de chambres de compensation qui sont faciles à identifier et à taxer.

Cependant, toutes les transactions ne sont pas compensées. C'est le cas des produits dérivés. Or, même si les autorités internationales souhaitent que les produits dérivés plus standardisés soient compensés, certains de ces produits échapperont encore à ce mécanisme qui fait office de coupe-feu en temps de crise financière. Aussi, une taxe risque de repousser la négociation de ces produits dans les coins les plus obscurs et opaques de la finance.

Au lieu d'une taxe sur les transactions, le Royaume-Uni propose d'imposer les actifs des banques et de séparer les activités bancaires de base des activités d'investissement plus spéculatives. Ces dernières ne seront plus garanties par le gouvernement.

Mais pareilles mesures ne s'attaqueraient en rien à la spéculation et à la négociation effrénée. Les courtiers spéculateurs se servent aujourd'hui d'outils informatiques sophistiqués pour transiger à toute vitesse et empocher des profits sur des marges infimes. D'où la volatilité extrême et les dérapages que les investisseurs, petits et grands, observent avec effroi en Bourse.

Les deux tiers des volumes de négociation viendraient aujourd'hui de ces courtiers spéculateurs, rapportait récemment le Wall Street Journal. Or, il n'y a que ces spéculateurs pour prétendre qu'ils jouent un rôle «socialement utile» en assurant la liquidité des marchés, alors qu'ils en sont le cancer.

Il est bon de se rappeler à quoi servent les marchés des capitaux. À la base, ils servent à financer les projets des entreprises qui ne trouveraient pas de capitaux autrement ou alors, à coût plus élevé. C'est ce qui fait tourner l'économie, la vraie.

Une taxe sur les transactions financières tuerait dans l'oeuf cette spéculation. Mais à défaut d'une improbable concertation mondiale, elle ratera sa cible.

Il y a d'autres moyens de freiner la spéculation, l'objectif que James Tobin poursuivait. Interdire la vente à découvert de titres que l'on n'a pas acquis ou emprunté peut en être un, même si limité.

C'est technique et assez rébarbatif. Mais il y a peut-être des outils plus efficaces qu'une taxe aussi séduisante qu'utopique.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca