Les Québécois ont-ils été trop indulgents envers le consortium Maple, qui s'est posé en sauveur pour empêcher la Bourse de Londres de mettre le grappin sur les plus grandes bourses du pays? Plus prosaïquement, se sont-ils fait passer un sapin?

C'est la question qui se pose en lisant l'avis de consultation publique que l'Autorité des marchés financiers (AMF) a publié. Ce document met la table pour les audiences qui se tiendront les 24 et 25 novembre prochains au Palais des congrès de Montréal.

Dans cet avis, l'AMF présente plusieurs des enjeux soulevés par l'achat du Groupe TMX par le consortium Maple, qui regroupe 13 des plus grandes institutions financières et caisses de retraite du pays. Il s'agit de questions auxquelles l'AMF répond à partir des engagements écrits que le groupe Maple a présentés dans sa demande d'approbation.

À la question de savoir si la transaction envisagée pourrait avoir des conséquences négatives, en contrepartie des avantages présentés par Maple, l'AMF arrive ainsi à un constat troublant. Les bottines ne suivent pas les babines, explique en substance l'organisme réglementaire.

«Maple ne propose pas d'engagement spécifique cristallisant l'intention de faire de Montréal le centre d'excellence en dérivés et le pôle d'attraction des activités relatives aux produits dérivés et (aux) produits connexes», écrit l'AMF.

L'organisme réglementaire prend bonne note de la promesse de Maple d'établir, dans la métropole, le siège social, le bureau de direction et le lieu de travail du grand patron de la Bourse de Montréal. Mais à l'évidence, l'AMF craint que la Bourse de Montréal ne devienne un siège social de façade en l'absence d'engagements clairs qui confirmeraient le partage des compétences convenu en 1999.

C'est à ce moment, rappelons-le, que la Bourse de Montréal a laissé partir à Toronto et à Vancouver la négociation des actions des grandes et des petites entreprises en échange de l'exclusivité sur la négociation et le développement des produits dérivés. Or, ces instruments financiers sophistiqués ont beaucoup gagné en importance au cours des 12 dernières années.

L'AMF est tout aussi dubitative quant à l'avenir de la Corporation canadienne de compensation des produits dérivés (CDCC), filiale de la Bourse de Montréal, lorsque celle-ci tombera sous la coupe de Maple. Bien que le siège social, le bureau de direction et le grand patron de cette chambre de compensation restent à Montréal, «aucun engagement spécifique n'est pris à l'égard de la localisation à Montréal des activités relatives aux opérations de compensation et de règlement», note l'AMF.

Étant donné le rôle accru que cette chambre de compensation est appelée à connaître, il ne s'agit pas d'un enjeu insignifiant.

Bien que leur mécanique s'apparente à de la tuyauterie, les chambres de compensation jouent un rôle crucial, en s'interposant entre l'acheteur et le vendeur d'un produit financier. Ce coupe-feu a pour effet de diminuer le risque qu'un acteur financier subisse une perte importante lorsque l'entité avec laquelle il transige est incapable d'honorer ses obligations.

Tous les produits financiers ne sont pas compensés. C'est le cas des produits dérivés hors cote, soit ceux qui se négocient entre courtiers, sans être inscrits officiellement en Bourse. C'est ce qui explique les ravages provoqués par la faillite de Lehman Brothers en 2008.

Résolus à ce que pareille catastrophe ne se reproduise plus, les pays du G20 ont décidé en 2009 de renforcer le système financier. Plusieurs transactions de produits dérivés, comme les swaps de taux d'intérêt, devront se faire par l'entremise de chambres de compensation. Ainsi, la chambre montréalaise CDCC pourrait être appelée à jouer un plus grand rôle.

Il reste à voir comment cela fera, concrètement. Il serait difficile, pour la CDCC, d'assumer ce rôle seul, était donné que les courtiers canadiens transigent souvent avec des courtiers de l'étranger. Il tomberait sous le sens de s'associer à une firme étrangère comme LCH.Clearnet, chef de file mondial de la compensation. Établie à Londres, LCH pourrait s'établir au Canada en créant une coentreprise. Mais rien dans les engagements de Maple n'assure que cette coentreprise mènerait ses activités à Montréal.

Par ailleurs, Maple entend acquérir CDS, la grande chambre de compensation des actions canadiennes, pour déployer sa stratégie d'intégration verticale. Cependant, le consortium n'a pas indiqué si elle intégrera CDS et CDCC et, le cas échéant, de quelle façon. CDS étant une organisation plus imposante, les activités de Montréal pourraient très bien graviter vers Toronto.

Luc Bertrand, chef de la direction de Maple, n'était pas disponible pour une entrevue hier, a fait savoir son porte-parole, Jean-Sébastien Lamoureux. «On aura l'occasion d'expliquer nos positions lors des audiences, mais nos engagements sont déjà connus», a-t-il ajouté.

L'AMF va jusqu'à affirmer que l'offre d'achat de la Bourse de Londres était supérieure quant aux engagements pris envers Montréal comme centre d'excellence des produits dérivés. C'est pousser le bouchon un peu loin. Car si Londres s'engageait à développer les produits dérivés à Montréal, cet opérateur boursier se réservait le droit de déménager à l'extérieur du pays, et à tout moment, la division des produits dérivés.

En comparaison, les promesses de Maple ne sont pas limitées dans le temps, a rappelé Jean-Sébastien Lamoureux.

«Cela n'existe nulle part, dans l'histoire de l'univers, une société qui prend des engagements à perpétuité», disait en juin Xavier Rolet, chef de la direction de la Bourse de Londres. Une position qui, aussi désagréable qu'elle fût à entendre, avait le mérite d'être franche.

Il faudra voir que comment les participants aux audiences publiques réagiront à ce que l'AMF décrit comme des trous dans les engagements de Maple envers le Québec.

Mais qui osera parler contre ce groupe qui réunit la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Banque Nationale du Canada, le Mouvement Desjardins et le Fonds de solidarité de la FTQ, entre autres? J'ai beau chercher, je ne vois pas.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca