Il affichait un air décontracté avec son pull bleu et sa chemise blanche. Et il portait le sourire. À regarder ces images seules, personne n'aurait deviné que l'homme escorté par les policiers à sa sortie d'un palais de justice de Londres a fait perdre près de 2 milliards de dollars à la banque suisse UBS.

Fils d'un ancien employé de l'ONU, Ghanéen d'origine éduqué dans des collèges anglais huppés, Kweku Adoboli travaillait comme courtier dans les bureaux londoniens d'UBS.

On ignore ce que ce courtier de 31 ans a pu faire sur ses heures de bureau avec son seul ordinateur. UBS n'a pas précisé la nature exacte des transactions « non autorisées » qui sont reprochées à Kweku Adoboli, accusé de fraude et de manipulation comptable.

Mais ce courtier était rattaché à une équipe qui se spécialise dans les fonds négociés en Bourse. Cette équipe transige ces fonds ou spécule sur eux au moyen de produits dérivés. Ces instruments financiers sophistiqués permettent aux investisseurs de se prémunir contre les fluctuations adverses des marchés boursiers et des devises.

A priori, ce n'est pas une activité très risquée. Mais cette équipe se servait aussi de ces instruments pour spéculer avec les fonds propres d'UBS. Et là, c'est une tout autre histoire.

Kweku Adoboli aimait faire la fête, selon des voisins de son condo de luxe, situé dans un vieil immeuble retapé de l'est de Londres. Mais il y a fort à parier que ce courtier n'était pas motivé par l'appât du gain.

Le plus souvent, les courtiers délinquants sont grisés par la reconnaissance de leurs grands coups. Par le pouvoir de transiger des sommes colossales sur un clic de souris. Sommes qui deviennent des abstractions.

Et puis arrive ce pari perdu que l'on veut effacer à tout prix. Mais pour se refaire, le courtier doit prendre des risques encore plus grands. Et la mauvaise transaction se transforme en cauchemar. Que l'on maquille tant bien que mal avec des manoeuvres illicites. Jusqu'à ce que la vérité explose au grand jour.

« J'ai besoin d'un miracle », a écrit Kweku Adoboli sur sa page Facebook la semaine dernière, rapportait l'agence Bloomberg.

Kweku Adoboli descend d'une longue liste de courtiers délinquants, de Jérôme Kerviel à Nick Leeson, qui avait entraîné dans sa chute la banque anglaise Barings.

Chaque fois, ce sont les procédés de contrôle et la gestion du risque défaillante qui sont montrés du doigt.

UBS n'y échappera pas. Surtout que cette banque suisse travaillait à restaurer sa crédibilité.

La banque UBS a été l'une des institutions européennes les plus affectées par la crise immobilière aux États-Unis. Son fonds de couverture Dillon Read Capital Management a accusé de lourdes pertes qui ont contaminé toute sa division d'investissement. En trois ans, UBS a cumulé des pertes avant impôt de plus de 57 milliards de francs suisses. Sa situation était si précaire que le gouvernement suisse a dû se porter à sa rescousse en 2009.

UBS a les reins assez solides pour tenir le coup. Toutefois, cette perte imprévue sape presque complètement ses efforts de restructuration. Cette banque venait d'annoncer toute une série de mesures, dont le licenciement de 3500 salariés, dans l'espoir d'économiser près de 2,5 milliards de dollars par année...

Le problème, qui dépasse la seule banque UBS, c'est qu'il y a trop d'histoires de courtiers délinquants pour que le secteur financier les qualifie d'accidents de parcours ou de cas isolés. Dans bien des banques d'investissement, il y a une culture de la témérité.

À l'époque de son procès, Jérome Kerviel a raconté qu'il avait dépassé ses limites de négociation à plusieurs reprises. Mais, comme ces transactions avaient été payantes pour la Société Générale, ses collègues et ses supérieurs à Paris avaient fermé les yeux. Pis, ils l'avaient même récompensé.

Évidemment, on n'entend jamais parler des kamikazes de la finance lorsqu'ils font des bons coups. On entend seulement parler d'eux lorsque leurs pertes se chiffrent en milliards.

L'affaire Adoboli, qui est survenue à Londres, of all places, ne fera que renforcer la détermination des autorités britanniques à réformer le système bancaire au Royaume-Uni.

Dévoilé lundi dernier, le plan Vickers, du nom du président de la commission indépendante sur le système bancaire, recommande d'isoler les activités bancaires de base des activités d'investissement plus risquées. Ces dernières ne seraient donc plus garanties par le gouvernement.

Le plan Vickers ne va pas jusqu'à interdire aux banques de négocier avec leurs fonds propres, comme Kweku Adoboli et ses collègues le faisaient chez UBS. Mais, si les banques d'affaires ne peuvent plus s'appuyer sur leurs activités bancaires traditionnelles, elles transigeront avec ces fonds à leurs risques et périls.

Institution suisse, UBS ne relève pas des autorités britanniques. Mais la banque suisse, sous la direction d'Oswald Grubel, faisait déjà l'objet de pressions pour qu'elle se déleste de ses activités d'investissement. Cette division souffrait déjà du recul des marchés boursiers et de la désaffection de professionnels de l'investissement qui sont insatisfaits des nouvelles politiques de rémunération de la banque.

La division investissement d'UBS pourrait bien être forcée de voler de ses propres ailes. À moins d'un petit miracle comme celui que Kweku Adoboli a attendu en vain.

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