Lorsque les petits garnements commettent des bévues à la garderie, leurs éducatrices leur disent toujours, d'un ton sévère, qu'ils auront à subir des «conséquences».

Cette menace est d'une redoutable efficacité pour mater les petites pestes. Par contre, elle a longtemps semblé sans effet sur les grandes banques.

Les conséquences de la crise financière qui a éclaté en 2008 et des prêts qui ont été consentis trop libéralement aux économies les plus imprévoyantes de l'Europe ont longtemps été une abstraction. Plus maintenant.

La décote de deux des plus grandes banques de France, la Société Générale et le Crédit Agricole, par l'agence de notation de crédit Moody's, hier, est la dernière manifestation du ressac financier et réglementaire contre les institutions financières.

Lundi, une commission indépendante sur le système bancaire du Royaume-Uni a dévoilé ses recommandations pour solidifier les institutions britanniques. Le plan Vickers, du nom du président de cette commission, Sir John Vickers, annonce une petite révolution à la City de Londres.

À première vue, il n'y a aucun lien entre ces deux histoires. Et pourtant, elles sont tout à fait reliées.

En prêtant autant d'argent à la Grèce, les banques françaises ont exposé l'État et, par ricochet, les contribuables français à de grandes pertes financières.

Car personne ne pense que le gouvernement de Nicolas Sarkozy laissera tomber les grandes banques de France, les plus vulnérables aux difficultés économiques de la Grèce. Intervenir, c'est dans l'ADN des Français.

Jusqu'ici, les banques françaises n'ont radié qu'une petite partie de la valeur des obligations grecques sur leurs livres. La Société Générale a fait une croix sur 21% de la valeur de ces obligations. En abaissant d'un cran sa cote de crédit, Moody's a estimé que la Société Générale aurait plutôt dû radier 60% de la valeur de ces obligations.

La Société Générale est l'une des institutions financières qui dépendent le plus de la disponibilité du financement à court terme, selon la Royal Bank of Scotland. Or, ce financement s'assèche. Non seulement les taux d'intérêt grimpent, mais certaines institutions américaines refusent carrément de prêter aux banques françaises.

Si la Grèce se trouve en défaut, une perspective évoquée de plus en plus ouvertement, le gouvernement français pourrait devoir se porter à la rescousse des banques françaises.

Combien d'argent le gouvernement devrait-il y consacrer? Pour entrer au capital des trois banques françaises en difficulté (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole) sans devoir lancer une offre publique d'achat, l'État devrait prendre une participation d'au maximum 33%. En fonction des cours actuels, cela représente un investissement de près de 23 milliards de dollars d'euros, a calculé Le Figaro.

C'est un montant inférieur aux dizaines de milliards de livres que le gouvernement britannique a consacrés au sauvetage de ses institutions financières en 2008. La société Northern Rock a nécessité à elle seule des prêts et des garanties de prêts de 55 milliards de livres!

Avec pour résultat que le gouvernement britannique détient encore 83% du capital de la Royal Bank of Scotland et 41% du Lloyds Banking Group, la première banque au détail au pays.

Mais c'est une situation qui ne devra plus jamais se reproduire, s'il n'en tient qu'aux auteurs du Vickers report, qui ont enquêté sur les causes de la crise financière au Royaume-Uni.

Dans une réforme ambitieuse, ils proposent au gouvernement conservateur d'isoler, au sein des institutions financières, les activités bancaires traditionnelles des activités d'investissement et de négociation plus risquées. Seules les activités bancaires de base, qui seraient gouvernées par un conseil d'administration distinct, seraient garanties par le gouvernement. Qui plus est, les banques devraient mettre de côté encore plus de capitaux de première qualité en réserve que ne l'exigent les dernières conventions internationales (Bâle III).

Les banquiers, qui poussent les hauts cris depuis un an, ont néanmoins obtenu certaines concessions. Par exemple, les banques auront une certaine latitude pour décider si les prêts aux consommateurs et aux entreprises sont à l'intérieur ou à l'extérieur des activités dites traditionnelles. Et elles auront jusqu'en 2019 pour mettre en application cette réforme qui a été bien reçue par George Osborne, le chancelier de l'Échiquier, soit le ministre des Finances du Royaume-Uni.

Il n'empêche que cette réforme pourrait coûter entre 4 et 7 milliards de livres de plus à l'industrie bancaire britannique par année (entre 6 et 11 milliards CAN). Les banques ne pourront plus financer leurs activités de courtage à même les dépôts de leurs clients. Et elles devront vraisemblablement payer des intérêts plus élevés, leurs activités d'investissement n'étant clairement plus garanties par le gouvernement.

Cette réforme rappelle la loi Glass-Steagall que le Congrès des États-Unis a adoptée en 1933, à la suite de la faillite de près de 5000 banques américaines provoquée par la crise économique de 1929. Cette loi interdisait aux banques traditionnelles de mener des activités d'investissement. C'est ainsi que la banque d'affaires Morgan Stanley s'est divorcée de la banque J.P. Morgan&Co.

Plusieurs publications d'affaires ont spéculé cette semaine sur l'influence que le nouveau modèle bancaire britannique pourrait avoir sur les autres pays, compte tenu du poids de Londres dans la finance internationale.

«Nous sommes entrés dans une période de «re-réglementation», mais celle-ci pourrait emprunter plusieurs routes», a observé François Leroux, professeur et directeur des activités internationales à HEC Montréal.

Chose certaine, ce cloisonnement va à l'encontre de tout ce qui s'est fait en Amérique du Nord depuis les années 80, constate le professeur Leroux.

Aux États-Unis, le président Bill Clinton a abrogé la loi Glass-Steagall en 1999. Quant aux fameux quatre piliers de la finance canadienne - les banques, les assureurs, les sociétés de fiducie, les firmes de courtage - qui évoluaient distinctement, elles ne sont plus qu'un lointain souvenir de cours d'économie!

Il n'y a que le secteur de l'assurance qui reste relativement isolé au Canada. Et encore les banques toutes puissantes s'évertuent-elles à empiéter chaque fois un peu plus sur ce vieux fief.

Le Canada connaîtra-t-il son retour vers le futur? Disons que ce serait tout un retournement de situation.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca