Si on vous demande quel est, à votre avis, l'événement le plus important de l'année 2001, il y a de fortes chances que vous commenciez par citer les attentats terroristes du World Trade Center.

C'est une réponse qui a beaucoup d'allure. On parle ici d'attaques d'une sauvagerie inouie, qui ont frappé l'Amérique en plein coeur, fait des milliers de morts et causé des dommages matériels incalculables.

Les conséquences sont nombreuses. Les Américains, déjà naturellement enclins à l'isolationnisme, se sont refermés comme rarement auparavant, littéralement obsédés par leur sécurité. Il en résulte des complications importantes à la frontière, ce qui empoisonne singulièrement la vie des exportateurs et des transporteurs canadiens. Dans les aéroports, la hantise de la sécurité a transformé la vie des voyageurs en cauchemar. Sur une autre échelle, les États-Unis ont entrepris deux guerres coûteuses, qui ont contribué à précipiter leurs finances publiques dans le cul-de-sac que l'on sait. Sans compter que leur image à l'étranger n'a jamais été aussi mauvaise.

Sur le plan économique, en revanche, les attentats n'ont pas eu d'impact important. Certes, le lendemain des événements, presque tous les experts, analystes et chroniqueurs s'entendaient pour prédire les pires calamités. Selon les prévisions des économistes, l'économie américaine subirait une forte contraction de 1,1% dans le trimestre suivant les attentats. Grave excès de pessimisme, qu'il faut comprendre parce que tous ces gens réagissaient à chaud, encore sous le choc des événements.

En réalité, au quatrième trimestre de 2001, l'économie américaine a connu une croissance de 0,2%. C'est faible, évidemment, mais c'est infiniment mieux que les prédictions des experts. Dès le trimestre suivant (les trois premiers mois de 2002), l'économie rebondissait avec un solide 5,6%, et la croissance a toujours été au rendez-vous au cours des trimestres suivants.

Hier, au bureau, je discutais de ces événements avec mes collègues Michèle Boisvert et Rudy Le Cours, et nous sommes rapidement tombés d'accord sur un point. Il s'est passé en 2001 un événement moins spectaculaire mais bien plus important que les attentats du 11 septembre, un événement qui a bouleversé les rapports de force entre nations et littéralement changé la face du monde, tout en influençant profondément notre vie de tous les jours.

Le 11 décembre 2001, la Chine adhérait à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Il allait s'ensuivre un véritable déferlement des exportations chinoises partout à travers le monde. Avant son adhésion à l'OMC, la Chine était un joueur d'importance secondaire dans le commerce mondial. Au début des années 90, ses exportations atteignaient à peine les 100 milliards, et son marché demeurait localisé (son principal partenaire commercial de l'époque était la colonie britannique de Hong Kong).

En 2001, avant qu'elle ne devienne membre de l'OMC, la Chine avait quelque peu réussi à diversifier ses marchés, et ses exportations dépassaient déjà les 200 milliards. Ce qui va suivre tient du prodige. En dix ans, elle multipliera ce chiffre par huit. Avec des exportations de 1 600 milliards, la Chine est aujourd'hui la première puissance commerciale de la planète.

Si les exportateurs chinois connaissent autant de succès, c'est parce qu'ils sont capables d'offrir leurs produits à des prix imbattables.

Certes, cela ne va pas sans problèmes. Depuis des années, les Chinois sous-évaluent volontairement leur monnaie, ce qui a le don d'irriter leur principal client, les États-Unis. Les Américains soutiennent avec raison que si le renminbi était coté à sa juste valeur, les produits chinois couteraient beaucoup plus cher. D'autre part, les produits chinois ne sont pas chers, mais leur qualité est parfois douteuse; on a même vu des jouets carrément dangereux. Enfin, si les exportateurs chinois peuvent pratiquer des prix sensationnels, c'est en partie parce qu'ils exploitent leur main-d'oeuvre dans des conditions qu'aucun travailleur américain n'accepterait.

En dépit de ces problèmes, la croissance de l'économie chinoise, alimentée par les exportations, a propulsé la Chine au rang de deuxième puissance économique mondiale en quelques années. Le pays est même devenu le premier créancier étranger des États-Unis. Tout cela pour un pays qui avait encore les deux pieds dans le Tiers-Monde il n'y a pas si longtemps.

Malgré ces progrès, la Chine tire encore largement de l'arrière par rapport aux États-Unis. Exprimé en parité de pouvoir d'achat, le Produit intérieur brut chinois est de 10 000 milliards, contre 15 000 milliards aux États-Unis. Mais sur une base per capita, le PIB est de 7600$ en Chine, contre 47 200$ aux États-Unis.

Enfin, les exportations chinoises ont profondément modifié notre vie de tous les jours. Faites-en vous-même l'expérience: essayez donc, juste pour voir, de passer un mois sans acheter quoi que ce soit de produit en Chine...