En pleine crise de croissance, l'Inde ralentit sur fond d'inflation galopante, de perte de confiance et de corruption.

C'est passablement collant ces jours-ci à New Delhi, avec un mercure qui frôle les 39 degrés sous une humidité accablante qui rebuterait beaucoup de visiteurs venus du Nord.

Cependant, ce sont les responsables de la banque centrale et les dirigeants d'«India Inc.» qui souffrent le plus de la chaleur ambiante.

Pour la 11e fois en 18 mois, l'Inde a relevé la semaine dernière ses taux d'intérêt, qui grimpent de 50 points de base à 8% (taux directeur). L'objectif: lutter contre la surchauffe économique, avec une inflation qui était en juin à deux doigts des 10%.

Cet emballement des prix est l'une des nombreuses sources d'inquiétude des autorités indiennes, mais aussi des investisseurs étrangers dont l'intérêt pour la troisième puissance d'Asie s'effrite.

La Bourse indienne (indice Sensex) a perdu plus de 11% de sa valeur depuis le début de l'année. Et il y a quelques jours, l'agence financière Dun&Bradstreet publiait un indice du moral des entrepreneurs indiens en chute de 22% sur un seul trimestre.

«Une accumulation de mauvaises nouvelles a plombé l'atmosphère», a commenté un responsable de Dun&Bradstreet.

2$ US par jour

En augmentant aussi fortement les taux d'intérêt, les autorités indiennes veulent absolument stabiliser les prix. Même si cela venait à pénaliser sa croissance.

Dans un pays où les trois quarts de la population vivent avec moins de 2$ US par jour, la flambée des prix - surtout dans le secteur alimentaire - peut vite se transformer en crise sociale. En février, l'inflation a provoqué une énorme manifestation dans les rues de New Delhi, ce qui n'a pas échappé aux gens d'affaires.

Dans une économie tirée surtout par la demande intérieure, les entreprises établies en Inde ont donc choisi de ralentir leur production, anticipant une baisse de la consommation dans la foulée de la hausse des taux.

Au premier trimestre, la croissance économique s'est donc limitée à 7,9%, la plus faible en cinq trimestres. L'industrie manufacturière, secteur-clé de l'économie, n'a crû que de 5,5%, son rythme le plus lent en 18 mois.

L'avalanche de mauvaises nouvelles ne s'arrête pas là: le gouvernement est secoué par plusieurs scandales. Entre autres, le ministre indien du textile, Dayanidhi Marana, a récemment démissionné relativement à des soupçons de corruption quand il dirigeait les télécommunications du pays.

Et voilà que des médias étrangers, habitués à louanger le «miracle indien», changent de ton et dénoncent de plus en plus la lourde bureaucratie locale qui décourage les investisseurs.

La vétusté des infrastructures et la fraude sont d'autres sujets à la mode: selon les calculs du gouvernement, le tiers de l'électricité générée dans le pays est «perdue» dans un réseau de transport désuet, quand elle n'est pas carrément «volée» par des consommateurs qui se connectent à un réseau bric-à-brac en forme de spaghetti.

Aucun autre pays au monde ne perd autant d'énergie, selon un rapport de la firme Deloitte.

Dans ce contexte, frauder le fisc est devenu un sport populaire au même titre que le cricket. Selon le Global Financial Integrity, un organisme de Washington, quelque 19 milliards US sont «sortis» illicitement de l'Inde chaque année. Une partie des fonds se trouve aujourd'hui en Suisse, selon de nouveaux rapports cinglants, mais critiqués par la classe fortunée.

Pour colmater cette fuite, la Cour suprême indienne vient donc d'ordonner une enquête approfondie. Le problème est grave dans la mesure où les recettes fiscales trimestrielles de l'Inde ont chuté de 17% sur un an, du fait de la décélération de l'économie.

Long terme

Beaucoup de mauvaises nouvelles donc. Mais celles-ci n'enlèvent rien au potentiel à long terme du géant indien.

«Le potentiel de croissance de l'Inde reste énorme», affirme dans une étude la banque britannique Standard Chartered. Son profil démographique, notamment, reste attrayant, car la moitié des 1,2 milliard d'habitants du pays ont moins de 25 ans.

Les Indiens en âge de travailler devraient croître de 117 millions sur les 10 prochaines années, contre seulement quatre millions de travailleurs supplémentaires attendus en Chine.

Entre-temps, les entrepreneurs et les investisseurs actifs en Inde devront être patients. Car la banque centrale prépare déjà... une 12e hausse des taux d'intérêt dans un avenir rapproché pour combattre l'inflation, a indiqué le ministre des Finances. «Patience signifie souffrance personnelle», disait Gandhi...