Apparemment, les Canadiens peuvent en montrer aux Chinois au jeu du ping-pong. La société torontoise Barrick Gold a asséné un smash en apparence fatal au groupe Minmetals Resources, pour lui ravir le producteur de cuivre Equinox Minerals.

En offrant 8,15$ par action d'Equinox, soit 7,3 milliards de dollars en espèces, Barrick Gold éclipse l'offre de 7$ l'action présentée par cette filiale de la société d'État China Minmetals Corporation.

C'est un coup d'autant plus fumant qu'Equinox appuie cette offre qualifiée d'amicale. Ainsi, ce groupe canado-australien s'engage à ne pas solliciter de nouvelles offres, accorde le droit à Barrick d'égaler toute offre non sollicitée et promet de verser 250 millions de dollars à la société aurifère en cas de résiliation.

Le grand match du cuivre se joue à une vitesse folle, alors que la flambée des cours pour ce métal a accéléré les échanges dans cette industrie en consolidation. En donnant son appui à Barrick, Equinox renonce en effet à acquérir le producteur torontois Lundin Mining Corporation, une offre hostile d'une valeur de 4,8 milliards de dollars. Lundin, qui a tenté sans succès une fusion avec un autre producteur torontois, Inmet Mining, se retrouve maintenant comme une balle perdue.

Pour Barrick Gold, premier producteur d'or du monde, l'acquisition d'Equinox n'est pas une transaction anodine. Barrick doublera sa production annuelle de cuivre, qui atteindra 700 millions de livres par année en 2012. L'entreprise s'implante plus solidement sur le continent africain, en Zambie, un pays aux riches réserves de cuivre.

Avec cette transaction, Barrick Gold semble s'éloigner de sa stratégie d'affaires qui consiste à miser presque exclusivement sur l'or, en levant le nez sur les métaux de base, à l'exception du cuivre, un des sous-produits de l'extraction aurifère.

En 2010, par exemple, l'entreprise torontoise a tiré 85% de ses revenus de 10,9 milliards US de la vente d'or, contre seulement 12% de la vente de cuivre. Si Barrick avait été propriétaire d'Equinox en 2010, les revenus tirés de la vente d'or auraient chuté à 80% du chiffre d'affaires du groupe, a précisé son président et chef de la direction, Aaron Regent, lors d'une téléconférence hier matin.

«C'est tout à fait comparable avec le partage des revenus de nos concurrents», a dit Aaron Regent, en cherchant à minimiser l'importance de ce changement d'orientation. Il faut savoir que ce dirigeant de 45 ans qui a pris la tête en 2009 de l'entreprise fondée par Peter Munk s'était engagé à ne pas faire de vagues en changeant une formule gagnante.

Pour Aaron Regent, Equinox représente toutefois une occasion à saisir au vol. Elle représente un raccourci formidable, alors que les coûts d'exploration et de production sont soumis à de fortes pressions et que des retards dans la mise en production de nouvelles mines pourraient raffermir encore le prix du cuivre.

«C'est une occasion rare d'acquérir l'un des plus grands producteurs de cuivre du monde», a-t-il noté, en soulignant que la plupart des mines de cuivre sont actuellement rattachées à de grands groupes miniers.

En ce sens, Aaron Regent est bien le fils spirituel de Peter Munk. Le président du conseil de Barrick Gold, rappelez-vous, s'était montré très critique de la vente des fleurons miniers du Canada au milieu des années 2000.

Peter Munk avait reproché aux dirigeants de l'industrie minière (du nombre desquels se trouvait Aaron Regent, soit dit en passant!) leur manque de «vision», leur manque de «couilles». Cet entrepreneur espérait qu'Inco, Falconbridge et Teck Cominco s'unissent pour créer un véritable leader mondial. À la place, l'audacieux groupe suisse Xstrata a damé le pion à Inco pour ravir Falconbridge. Peu de temps après, le géant brésilien Companhia Vale do Rio Doce a mis la main sur Inco.

«Cette occasion de constituer un groupe de cette envergure, elle ne se représentera pas dans votre génération, ni dans celle de vos enfants», avait dénoncé Peter Munk, en entrevue au Globe&Mail.

Si Barrick Gold réussit à mettre la main sur Equinox, le gouvernement fédéral pourra soupirer d'aise. C'est une solution toute canadienne qui évitera la perte d'une autre minière, même si Equinox n'a aucune activité de production au pays. À l'image de son industrie, Equinox est véritablement internationale, avec des bureaux de direction à Toronto et à Perth, en Australie-Occidentale, de même que des mines en Zambie et en Arabie Saoudite.

Industrie Canada n'aura donc pas à déterminer si une acquisition de Minmetals représente un «avantage net» pour le Canada, comme le veut le processus d'examen des acquisitions étrangères.

Avec les exceptions notables de Potash Corporation et de MacDonald Dettwiler&Associates, deux dossiers politisés, Industrie Canada a approuvé à peu près toutes les offres d'achat qui lui ont été soumises pour approbation au cours des dernières années. Mais le cas de Minmetals est plus épineux. Plusieurs sont réticents à ce que des sociétés d'État chinoises achètent des producteurs de ressources naturelles du Canada. Ils craignent que ces entreprises prennent des décisions qui favorisent leurs intérêts de consommateur plutôt que de producteur de métaux.

Même si cette crainte semble montée en épingle dans le cas précis d'Equinox, un malaise demeure. Malaise qui pourrait créer des frictions dans la relation déjà teintée de méfiance entre Ottawa et Pékin.

Pour bloquer une offre d'achat hostile de l'étranger, une contre-offre d'un groupe canadien est éminemment préférable à une intervention du gouvernement, qui crée une onde de choc sur les marchés internationaux. Encore faut-il avoir des champions nationaux qui en aient les moyens.

Heureusement, il reste Barrick.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca