Cette vilaine tempête de mars, qui nous montre à tous à quel point l'hiver peut être long au pays du Québec, fournit aussi une belle occasion de rappeler que l'hiver nous coûte cher.

Évidemment, on n'y peut rien. Chaque année, l'hiver est une réalité aussi incontournable que les impôts et la mort! À ma connaissance, il n'existe pas d'étude exhaustive sur les coûts de l'hiver québécois. Il y a une vingtaine d'années, mon collègue Alain Dubuc s'est intéressé à la question. À l'époque, il a mis au point une méthodologie simple, mais efficace: dresser une évaluation des dépenses des ménages directement liées à l'hiver, et y ajouter ce qu'on pourrait appeler les «coûts sociaux». Cette approche est toujours aussi valable aujourd'hui; il suffit d'actualiser les montants. Voyons ce que cela donne.

S'il n'y avait pas d'hiver, les Québécois ne seraient pas obligés d'engloutir une fortune en coûts de chauffage, en pelles, souffleuses, manteaux, bottes, foulards, pneus d'hiver, liquide lave-glace, abris Tempo, coupe-froid, trousses de fermeture (et d'ouverture) de piscines, et j'en passe. Sans compter des dépenses moins évidentes: par exemple, les maisons coûtent plus cher dans les pays froids parce qu'il faut mieux les isoler. De façon prudente, on pouvait évaluer toutes ces dépenses, à l'époque, à 1000$ par ménage. Ce montant, si on tient compte de l'inflation, vaut aujourd'hui 1800$. Multiplié par 3,3 millions de ménages québécois, cela nous donne un total frisant les 6 milliards.

À ce montant, il faut ajouter le déficit touristique directement attribuable à l'hiver. Si les Québécois sont si nombreux à partir pour la Floride, le Mexique, Cuba et autres destinations-soleil, c'est essentiellement pour fuir l'hiver. C'est ainsi qu'ils laissent plus de 3 milliards par année sur les plages chaudes du Sud. Nous voilà donc rendus à 9 milliards.

Au chapitre des coûts sociaux, on pense d'abord aux fortunes englouties par les administrations publiques pour le déneigement.

Cette année, le ministère des Transports et les municipalités du Québec y dépenseront près de 900 millions. Il s'agit là des dépenses directement allouées au déneigement; à cela, il faut ajouter les coûts énormes de réparation des nids-de-poule, crevasses et autres dégâts causés par le gel et le dégel. Il faut aussi tenir compte du coût des accidents de la route.

Ce n'est pas tout. Pour les entreprises, les tempêtes hivernales ont aussi un coût énorme: employés en retard, absentéisme, fonctionnement au ralenti, délais de livraison perturbés, importantes pertes de productivité. À l'époque, Alain Dubuc avait évalué l'ensemble de ces coûts sociaux à 5 milliards, c'est-à-dire, à quelques poussières près, l'équivalent des dépenses des ménages. On peut très certainement penser que c'est une estimation réaliste. Ajusté pour tenir compte de l'inflation, cela correspond aujourd'hui à 9 milliards.

D'où la facture totale de 18 milliards.

C'est un chiffre qu'il faut cependant considérer avec précaution. S'il n'y avait pas d'hiver, nous ne serions collectivement pas plus riches pour autant.

Une bonne partie de ce que nous venons de voir, les opérations de déneigement, les ventes de pneus d'hiver, de manteaux, d'abris Tempo, tout cela contribue à stimuler l'activité économique.

De plus, il est bon de rappeler que les pays froids sont, en général, plus riches que les pays chauds.

L'Europe du Nord est beaucoup plus riche que l'Europe du Sud. Aux États-Unis, les États les plus riches sont au nord, les plus pauvres au sud. Il y a bien sûr la notable exception de la Russie, mais celle-ci souffre encore, 20 ans après l'implosion de l'Union soviétique, du désastreux héritage de 75 ans de dirigisme économique.

Si les pays du Nord sont plus riches que ceux du Sud, c'est en partie grâce à l'hiver. Quand vous vivez dans un climat froid, vous n'avez pas le choix: vous devez déployer beaucoup d'efforts pour construire, isoler et chauffer vos maisons, pour vous déplacer, pour vous nourrir. Vous êtes en quelque sorte obligés de trimer, de vous grouiller, de prévoir: ce n'est ni plus ni moins qu'une question de survie. Et vous en prenez l'habitude, ce qui se traduit, en fin de compte, par une meilleure productivité.

L'hiver coûte cher, oui, c'est vrai. Et, pour beaucoup d'entre nous, il peut être plein d'emmerdes dont on se passerait bien. On peut au moins se consoler en pensant que, d'un point de vue économique, il a aussi ses avantages!