Par une déformation professionnelle qui les incite à faire preuve d'esprit critique, les journalistes cherchent toujours la petite bête noire. D'autant plus que les professionnels de la communication déploient des trésors d'ingéniosité - certains parleront de machiavélisme - pour maquiller le laid et présenter le beau.

C'est de bonne guerre, comme on le dit familièrement.

Alors qu'il faisaient leur pèlerinage annuel au siège social de la Caisse de dépôt et placement du Québec, ces dernières années, les journalistes n'avaient pas à chercher très longtemps. Les bombes leur explosaient au visage!

Aussi y avait-il quelque chose de singulier hier, alors que les journalistes se creusaient la tête pour trouver un angle, une prise sur les derniers résultats financiers de la Caisse. Déconcertés, nous l'étions tous un peu. «Good news is no news», ironisent les anglophones.

En ce sens, les résultats 2010 de la Caisse sont d'une splendeur ennuyeuse. Le rendement de 13,6% enregistré l'an dernier surpasse, et de loin, l'indice de référence global, de 9,5%. (Cet indice représente les rendements de référence de chaque catégorie d'investissement - actions canadiennes, américaines, obligations, etc. - en fonction de la pondération choisie par la Caisse).

Après deux années au coin, la Caisse ne se trouve plus parmi les derniers de classe. Son résultat de 2010 lui permet même de se classer parmi le premier quartile des investisseurs institutionnels avec un actif sous gestion supérieur à 1 milliard de dollars (rendement de 11,9% et plus, selon la firme RBC Dexia).

Cette belle performance s'appuie sur les rendements supérieurs obtenus dans les placements privés (24,7% de plus que l'indice), les infrastructures ("14,1%) et les dettes immobilières ("10%).

Dans les cas des infrastructures et des dettes immobilières, les revirements de situation sont d'une amplitude exceptionnelle, pour ne pas dire suspecte.

En 2009, par exemple, le portefeuille de dettes immobilières avait fondu du cinquième (-20,3%!), en raison notamment de la déconfiture du marché américain.

Mais la Caisse a joué d'opportunisme l'an dernier, cependant qu'elle faisait le ménage dans ses affaires. Ainsi, le nouveau patron de l'immobilier, Daniel Fournier, avait l'air repu d'un joueur de Monopoly qui contrôle Park et Promenade en évoquant les 160 millions de dollars de gain empochés lors de la vente du 1330, Avenue of the Americas, à New York.

La Caisse a-t-elle noirci le tableau en 2009 pour afficher une remontée plus spectaculaire en 2010? S'appuyant sur les évaluations de tiers, revues par des comités indépendants, les dirigeants de la Caisse se défendent d'avoir utilisé la technique dite du «bain de sang», qui est vieille comme le monde en affaires, lors des changements d'administration. Soit.

Quoi qu'il en soit, la Caisse de dépôt et placement du Québec n'a plus à panser ses plaies. Après avoir été amputé de 40 milliards de dollars, son actif net, de 152 milliards de dollars, s'approche maintenant de sa valeur de 155 milliards de 2007...

«Nous sommes de retour dans la course, en mode offensif. Mais cette course, c'est un marathon, pas un sprint», a noté Michael Sabia, devant les employés de la Caisse qui s'étaient réunis sur les balcons de la grande verrière pour écouter leur grand patron.

Nettoyer les pots cassés, c'est une chose. À la lecture des erreurs du passé, les décisions à prendre s'imposent souvent plus naturellement. Savoir où investir à l'avenir, savoir comment se démarquer, tout en évitant les modes qui se transforment en pièges, c'est une autre histoire.

«Nous avons de bonnes fondations. La question est de savoir de quoi aura l'air la maison que nous construirons», a renchéri Michael Sabia.

Sous la direction de Roland Lescure, premier vice-président et chef des placements, la Caisse de dépôt a déjà augmenté de façon très significative ses investissements en actions. Ces investissements totalisaient 72 milliards de dollars au 31 décembre comparativement à 56 milliards un an plus tôt, soit 48% de l'actif net. Les actions canadiennes représentent plus du quart de cette somme. Or, ces actions sont nettement plus influencées par le cours du pétrole et les fluctuations des prix des matières premières.

Cela a été bénéfique en 2010. Mais ces secteurs réputés cycliques connaissent aussi des années de misère.

Par ailleurs, si la révolte populaire dans les pays arabes devait atteindre l'Arabie Saoudite ou l'Iran, deux grands pays producteurs, la flambée du prix du pétrole pourrait aussi compromettre la reprise économique mondiale. Et les autres actions de la Caisse.

La dette européenne cause encore des soucis. Tout comme la fin des mesures de relance, alors que les gouvernements et banques centrales ferment les robinets du crédit facile d'accès.

Ce sont autant de chocs appréhendés qui pourraient ébranler la Caisse, alors que l'institution financière repart sur de nouvelles bases et se tourne enfin vers l'avenir. La direction actuelle est confiante d'avoir mis en place les mécanismes pour cerner ses vulnérabilités et se préparer au pire.

Il reste à voir comment se préparer au meilleur. Car c'est cela qui, ultimement, façonnera le jugement des Québécois sur les années Sabia.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca