Je suis décalée. Dans tous les sens du terme. De retour à Montréal après un interminable voyage d'avion, mon horloge biologique a une quinzaine d'heures d'avance. Mais je suis en retard sur l'actualité, que j'ai suivie de loin, en consultant les journaux en ligne depuis deux semaines.                

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Permettez-moi de revenir sur le projet de fusion des bourses de Toronto et de Londres. Car il y a quelque chose d'infiniment ironique à lire les critiques de cette transaction de 7 milliards de dollars exprimées à Toronto.

Dans la capitale financière du pays, certains, au premier chef Dwight Duncan, ministre des Finances de l'Ontario, craignent que cette soi-disant « fusion entre égaux » ne soit qu'une mascarade. Dans les faits, la Bourse de Londres met le grappin sur la Bourse de Toronto. Ainsi, cette transaction consacre le transfert du centre de décisions de Bay Street à la City, où sera domicilié le chef de direction du nouveau groupe.

Si l'Ontario est aussi ambivalent à l'égard de cette transaction, c'est parce qu'elle reconnaît une certaine façon de présenter les choses, un « spin » avec lequel elle est familière. Les paroles mielleuses de Thomas Kloet et de Xavier Rolet, les deux architectes du rapprochement entre TMX et LSE, ressemblent au discours que tenaient Luc Bertrand et Richard Nesbitt, fin 2007, début 2008.

Du jour au lendemain, les anciens ennemis d'hier étaient devenus les meilleurs copains, le temps de ficeler une « fusion » de 1,3 milliard de dollars entre les bourses de Montréal et de Toronto.

Au début, ce rapprochement semblait aussi intéressant pour Toronto que pour Montréal, notamment en raison des fameuses « garanties québécoises » négociées par Luc Bertrand. La Bourse de Montréal devait même récupérer la Natural Gas Exchange (NGX), une bourse de produits dérivés en énergie de Calgary.

Mais lorsque la poussière est retombée, la réalité était autre. L'exclusivité pour les produits dérivés à laquelle la Bourse de Montréal tenait tant ne valait que pour le Canada. Pas pour les États-Unis, où est établie la bourse d'options sur actions affiliée à la Bourse de Boston (Box). Quant à la bourse NGX, elle pouvait tout de même lancer de nouveaux produits dérivés sans avoir à se rapporter à Montréal.

Décision révélatrice entre toutes, la Bourse de Toronto a préféré recruter un PDG à l'externe plutôt que de nommer Luc Bertrand à la suite du départ inattendu de Richard Nesbitt, parti à la Banque CIBC.

Ici comme dans tout, le diable est dans le détail. Ce que l'on sait déjà de l'acquisition du groupe TMX par la LSE, c'est que les actionnaires de la Bourse de Londres auront 55 % du capital des deux parquets réunis. Que l'émir de Dubaï sera l'actionnaire individuel le plus important, bien que minoritaire. Et qu'une majorité des postes d'administrateurs reviendront à la Bourse de Londres, soit 8 des 15 sièges du conseil.

Reste à voir les petites surprises qui réservent la circulaire d'information...

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Le raisonnement qui sous-tend les fusions de bourses dans le monde est partout le même. Les bourses établies font face à la concurrence de bourses alternatives. Au Canada, par exemple, le groupe TMX doit rivaliser depuis 2007 avec Alpha, une plate-forme de négociation appuyée par les grandes banques, le gestionnaire de fonds Canaccord Financial et l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada.

Sans surprise, cette concurrence a entraîné une baisse des frais de transaction et, par ricochet, une diminution des profits des bourses établies.

Cette fuite en avant s'accélère d'elle-même. Puisque les bourses fusionnent, celles qui restent indépendantes risquent d'être déclassées par les grands groupes. D'où cette pression accrue pour conclure des mariages.

Sauf que ces fusions qui nous sont présentées comme des faits acquis n'ont pas encore reçu l'approbation des autorités réglementaires des pays concernés. Et que ces transactions sont actuellement considérées avec beaucoup de circonspection.

En octobre dernier, la Bourse de Singapour a annoncé son intention d'acquérir ASX, la Bourse d'Australie. Or, cette transaction est fort mal perçue par les autorités australiennes. Les Australiens s'inquiètent notamment du fait que le gouvernement de Singapour détiendra 15 % du capital des parquets regroupés par l'entremise de sa firme d'investissement Temasek.

Pour essayer de calmer le jeu, la Bourse de Singapour a consenti à revoir les termes de cette acquisition, la semaine dernière. Les Australiens auraient 5 postes d'administrateurs, soit autant que les Singapouriens, sur un conseil totalisant 13 sièges, les trois derniers étant réservés à des administrateurs dits internationaux.

Malgré tout, les députés verts et indépendants qui permettent au gouvernement travailliste de Julia Gillard de se maintenir au pouvoir s'opposent toujours à cette transaction.

Aux États-Unis, l'acquisition de la Bourse de New York par la Deutsche Börse, annoncée la semaine dernière, choque aussi les susceptibilités des Américains. D'autant plus qu'à une époque plus heureuse, c'est la Bourse de New York qui avait la capitalisation boursière pour acquérir la Bourse de Francfort...

Si au moins la Bourse de Toronto avait intérêt à s'associer avec la Bourse de Londres ! La Bourse de Londres a échoué à s'établir dans le marché des produits dérivés, font valoir les détracteurs de cette transaction. Le parquet londonien utilise d'ailleurs la plateforme informatique Sola, développée par la Bourse de Montréal.

Dans le contexte, plusieurs se demandent en quoi cette transaction représente un « avantage net » pour le Canada, le critère que le ministre de l'Industrie, Tony Clement, soupèsera avant d'approuver cette acquisition.

Mais il serait fort étonnant que le gouvernement de Stephen Harper s'oppose à cette transaction. Surtout après avoir repoussé l'offre de BHP Billiton sur le producteur de potasse PotashCorp, une décision contre nature qui a été prise pour des raisons électoralistes, bien que les conservateurs ne l'admettront pas.

Allez savoir pourquoi, la bourse torontoise attire moins la sympathie que la potasse.