Au moins un milliard de dollars. Voilà l'ampleur de la somme que les investisseurs canadiens ont perdue depuis 2000 en se faisant flouer par les Vincent Lacroix, Earl Jones et autres manipulateurs de la haute finance canadienne, que ce soit chez Mount Real, Portus, Norshield, Essex, Fulcrum...

Si l'assurance-placement proposée hier par un groupe d'experts québécois avait existé, les victimes de ces fraudes financières made in Canada se seraient fait indemniser rubis sur l'ongle. Eh oui, un «Fonds universel de protection contre la fraude et la négligence fiduciaire», tel que proposé hier par un groupe d'experts du milieu financier, aurait couvert à 100% les victimes.

Revenons sur terre. On ne vient de dévoiler que le squelette d'une assurance-placement contre la fraude financière en tout genre. Le groupe derrière ce nouveau projet de fonds d'indemnisation des investisseurs déposera son mémoire lors des prochaines audiences que le ministre des Finances, Raymond Bachand, a convoquées sur la protection des épargnants et la remise en question du Fonds d'indemnisation de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Je vous rappelle qu'à l'heure actuelle, les victimes des scandales financiers ne sont pas protégées contre la fraude commise par le personnel des fonds communs et des fonds distincts, ni par les fiduciaires de ces portefeuilles sous gestion. On ne bénéficie également d'aucune protection contre la fraude financière pouvant être commise dans les institutions financières, que ce soit dans les banques, les caisses, les firmes de courtage, les compagnies d'assurances, les sociétés de fiducie, etc.

L'assurance-dépôt des banques et caisses ne nous couvre qu'en cas de faillite... et non de fraude.

La seule protection antifraude dont on jouit actuellement est celle qui est offerte par l'actuel Fonds d'indemnisation de l'AMF. Mais la protection ne vise que les fraudes commises par les conseillers financiers spécialisés dans la distribution de produits financiers liés à l'épargne collective et l'assurance.

C'est pourquoi le Fonds d'indemnisation de l'AMF a refusé de dédommager la grande majorité des victimes de Norbourg, prétextant que la fraude n'avait pas été commise par le Vincent Lacroix vendeur des fonds Norbourg mais plutôt par le Vincent Lacroix gestionnaire desdits fonds communs de placement.

Avec la création de la nouvelle assurance-placement, des victimes à la Norbourg se feraient automatiquement dédommager.

Si le ministre Bachand donne son aval au projet, l'assurance-placement couvrirait, dans un premier temps, les victimes des fraudes commises par les gens liés (directement et indirectement) à l'industrie des fonds communs de placement, incluant les fonds distincts gérés et distribués par les compagnies d'assurance vie. Cela inclut toute personne qui joue un quelconque rôle dans la gestion et la distribution des fonds communs.

Dans un second temps, l'assurance-placement pourrait englober la protection contre la fraude bancaire et la fraude boursière (et autres valeurs mobilières), de sorte à protéger l'investisseur de A à Z dans tous ses placements.

Prévention

Par ailleurs, l'assurance-placement proposée ne jouerait pas seulement un rôle d'indemnisation. Elle serait également appelée à jouer un rôle crucial dans la prévention.

Comment? En évaluant, par l'entremise de son propre service de notation, les pratiques fiduciaires des sociétés de gestion des fonds communs et des fonds distincts. Ainsi, chaque fonds vendu au Québec se verrait attribuer une cote d'appréciation liée à son niveau de risque, à la qualité de ses gestionnaires, à sa performance, à sa gouvernance, etc.

Passons maintenant à «LA» question: qui va payer pour renflouer les coffres d'une telle assurance-placement? Eh bien, c'est nous, les investisseurs, qui, suggère-t-on, devraient obligatoirement payer une prime annuelle d'assurance. Combien? On parle de 50 cents par tranche de 1000$ de placement. Exemple: si vous détenez pour 100 000$ de fonds communs de placement, cela laisse présager que vous devrez débourser 50$ pour protéger votre portefeuille contre la fraude.

Comme l'actif des fonds collectifs de placement (communs et distincts) atteint les 150 milliards de dollars au Québec, on parle d'une assurance-placement qui pourrait renflouer ses coffres à hauteur de 50 millions et plus par année, et ce, en ne puisant que dans les poches des investisseurs.

La formule de financement de cette assurance-placement est appuyée par une panoplie d'organisations proches des investisseurs (MEDAC, FADOQ, CSN, UdA, Chambre des notaires, Regroupement indépendant des conseillers financiers, Fonds d'indemnisation de l'AMF, etc.).

Pour ma part, je crois qu'une grande partie de la facture de l'assurance-placement devrait être assumée par les firmes financières et les conseillers qui vivent aux crochets de cette lucrative industrie. Il y a quand même une limite à se faire presser le citron avec une assurance-placement, aussi prometteuse soit-elle.

Paul JournetDes réactions

Le ministre des Finances, Raymond Bachand, n'avait pas encore lu le rapport hier. Il dit «s'inquiéter» qu'on veuille ajouter un «fardeau additionnel» aux investisseurs. «La meilleure façon de se prémunir contre la fraude reste la prudence», soutient-il. Il se réjouit tout de même que d'ex-politiciens et acteurs du milieu financier participent au débat. Il ne veut pas commenter davantage les recommandations afin de «laisser les idées circuler un peu». En décembre dernier, M. Bachand avait annoncé que l'AMF mènerait dès le printemps une «large consultation» sur l'indemnisation de victimes de crimes financiers. Par ailleurs, les investisseurs floués récupéreront une grande partie de leur argent du «bandit» Vincent Lacroix, et M. Bachand, en est «très, très satisfait». Le Québec est la seule province canadienne à posséder un fonds d'indemnisation, a rappelé le ministre ce matin à son arrivée au caucus de pré-session du PLQ à Lac-Beauport. M. Bachand reconnaît que le processus d'indemnisation a été «compliqué et long» pour les investisseurs floués par Norbourg. Mais il ne croit pas que l'Autorité des marchés financiers doive être blâmée. «Le responsable, il s'appelle Vincent Lacroix, le bandit en chef. Il est condamné au criminel alors on a le droit d'utiliser ce mot-là», a lancé le ministre. «Les bandits à cravate, c'est plus compliqué à attraper, poursuit-il. Mais c'est pour cela qu'on a doublé les ressources de l'AMF.»