Tous les 50 ans et plus se souviennent du climat de travail pourri qui prévalait au Canada il y une trentaine d'années. Je ne parle pas seulement ici des gigantesques fronts communs de la fonction publique québécoise, mais aussi des affrontements monstres entre les constructeurs automobiles et leurs syndicats ontariens, entre Postes Canada et ses employés, entre autres.

Eh bien, depuis ce temps, sans que cela ne fasse les manchettes, le climat des relations de travail s'est considérablement amélioré.

Un des meilleurs indicateurs à cet égard consiste à mesurer le nombre de jours-personnes perdus à cause de conflits de travail (ce qui inclut grèves et lock-out). Ainsi, une entreprise de 300 employés, où est déclenchée une grève qui dure 10 jours ouvrables, représente une perte de 3000 jours-personnes.

L'an dernier, il s'est ainsi perdu près 2,2 millions de jours-personnes au Canada. C'est un chiffre qui peut sembler élevé si on le compare aux résultats des trois années précédentes: 876 000 pertes l'année précédente, près de 1,8 million en 2007 et seulement 793 000 en 2006. En réalité, même en tenant compte de l'an dernier, ces chiffres représentent une amélioration spectaculaire quand on les compare aux résultats observés il y a 30 ans.

Ainsi, si on fait le total de 2006 à 2009, on en arrive à un total de 5,6 millions de jours-personnes perdus. En quatre ans.

Or, pour la seule année 1980, les pertes atteignaient 9,1 millions de jours-personnes; le chiffre correspondant pour 1981 est de 8,9 millions; en 1982, 5,7 millions; en 1986, 7,2 millions.

Ces chiffres ont été publiés hier dans L'emploi et le revenu en perspective, une publication spécialisée de Statistique Canada.

Ils représentent une bonne nouvelle. Peu importe les raisons qui les motivent, les grèves et les lock-out entraînent inévitablement des pertes économiques. En tenant compte de la rémunération moyenne, les 2,2 millions de jours-personnes perdus l'an dernier représentent plus de 400 millions de dollars (si les conflits de travail, aujourd'hui, étaient restés aussi fréquents qu'il y a 30 ans, les pertes friseraient 1,7 milliard).

La même revue nous fournit des données qui, au premier coup d'oeil, donnent des frissons dans le dos.

Si on tient compte de toutes les augmentations consenties par les conventions collectives au Canada depuis 1980, la rémunération de base des travailleurs a augmenté en termes réels de 1,2% en 30 ans.

Un travailleur qui gagnait 15 000$ en 1980 en gagne aujourd'hui 44 340$ en supposant que son salaire ait épousé parfaitement l'augmentation annuelle moyenne négociée entre les employeurs et les syndicats pendant toute cette période.

Or, si on tient compte de l'inflation, les 15 000$ de 1980 valent 43 830$ en dollars de 2010. Dans ces conditions, l'enrichissement réel se situe en moyenne à 510$, à peine 1,2% de plus.

Il faut cependant interpréter ces chiffres avec prudence.

Ainsi, dans cet exemple, le travailleur en question n'a obtenu aucune promotion en 30 ans de service; cela se peut, mais c'est assez rare. De plus, toutes les conventions collectives prévoient des échelons salariaux, où la rémunération augmente avec l'ancienneté. Les chiffres que l'on vient de voir ne tiennent pas compte de cela. Enfin, la rémunération de base ne comprend pas les heures supplémentaires, les primes et les avantages sociaux. Or, particulièrement sur le plan des avantages sociaux, la vaste majorité des conventions collectives sont nettement plus généreuses aujourd'hui qu'il y a 30 ans.

Dans ces conditions, le chiffre de 1,2% donne une bonne idée de la taille réelle des augmentations salariales par rapport à l'inflation, mais ne prétend aucunement refléter la situation financière des travailleurs.

Enfin, la revue dresse un tableau complet de la syndicalisation au Canada en 2010. Contrairement à une opinion largement répandue, ce n'est pas le Québec qui est la province la plus syndiquée au Canada, mais Terre-Neuve-et-Labrador, avec un taux de syndicalisation de 37,9%; il faut dire que le Québec arrive très près derrière avec 36,1%. Les deux provinces les moins syndiquées sont l'Alberta (22,6%) et l'Ontario (26,5%). la moyenne canadienne est de 29,6%.

On ne sera pas surpris d'apprendre que les syndicats tirent l'essentiel de leur force du secteur public (pris dans sa plus large définition, c'est-à-dire en incluant les fonctionnaires - cols bancs et cols bleus - fédéraux, provinciaux et municipaux, les employés des écoles, hôpitaux et autres établissements subventionnés par l'État, les employés des sociétés d'État comme Postes Canada, la SRC, Hydro-Québec ou la SAQ. Chez tous ces employés du secteur public, le taux de syndicalisation est de 71,2%. Dans l'ensemble du secteur privé, le taux de syndicalisation est presque cinq fois inférieur, à 16%.