C'est le jour J de Vidéotron. Après plusieurs reports, le câblodistributeur active enfin son service sans fil, la pièce manquante à son arsenal.

Je dis enfin parce que les consommateurs attendent depuis trop longtemps que le petit club de sociétés de télécoms qui règne confortablement sur le Québec reçoive un électrochoc de concurrence. C'est particulièrement vrai dans le marché des appareils intelligents.

La grande question est de savoir de quelle façon Vidéotron a bricolé ses forfaits. Et surtout à quels tarifs.

Certains prévoient que Vidéotron lancera un forfait où les minutes de conversations ne seront plus comptées. D'où les publicités anonymes «La fin du temps est proche» sur de grands babillards extérieurs à Montréal.

L'identité de Vidéotron est d'ailleurs un secret mal gardé. Premier indice: les publicités sont en jaune et noir, les couleurs de l'entreprise. Deuxième indice: les imprimés publicitaires ont paru dans le Journal de Montréal, mais pas dans La Presse...

Reste à voir jusqu'à quel point la stratégie de prix de Vidéotron sera audacieuse, surtout pour le trafic de données. Chose certaine, c'est la fin du bon temps pour les opérateurs établis. La guerre des télécoms repart de plus belle.

Avec une part de marché de 40% au Québec, selon les consultants Seabord Group, c'est Bell qui a le plus à perdre, bien que Rogers (33%) et Telus (26%) ne seront pas épargnés. La menace est d'autant plus sérieuse que Vidéotron est bien établie au Québec, avec 1,8 million d'abonnés du câble. L'entreprise aura beau jeu de solder le sans-fil à ses abonnés fidèles.

En même temps, les abonnements de longue durée vont limiter les défections chez les sociétés établies, du moins à court terme.

Les contrats de sans-fil durent deux ou trois ans au pays. Selon le Seabord Group, ils sont anormalement longs, comparativement à ceux du Royaume-Uni, de la France, des États-Unis et de l'Allemagne, entre autres. Or, plus un contrat est long, plus il est coûteux de le résilier.

Or, même si le Québec vient de limiter les pratiques commerciales abusives des opérateurs sans fil qui ligotaient leurs clients avec des frais de résiliation aussi nébuleux que prohibitifs, la nouvelle version de la loi sur la protection du consommateur ne limite pas la durée des contrats d'abonnement.

À plus long terme, toutefois, c'est une autre histoire. C'est ce qui a fait dire à plusieurs observateurs que les câblodistributeurs ont remporté la bataille des télécoms. Grâce à leurs infrastructures et aux avancées permises par le protocole internet, les câblos ont fait des ravages en téléphonie et en mobilité. Pendant ce temps, les anciennes compagnies de téléphonie n'ont pas connu autant de succès avec la télédistribution et l'accès internet.

Mais, ce qui est fabuleux avec l'industrie des télécommunications, c'est que toutes les fois où les choses semblent se préciser, il y a une entreprise ou une nouvelle technologie qui vient brouiller les cartes. Rien n'est jamais définitif.

Juste comme les câblodistributeurs croient avoir remporté la bataille, Apple attaque de l'arrière en relançant son service de télévision internet.

Cela fait quatre ans qu'Apple essaie de percer ce marché. Quatre années qui, disons-le, n'ont pas produit de résultats spectaculaires. Mais il ne faut jamais sous-estimer Steve Jobs, un visionnaire doublé d'un génie du marketing.

L'appareil Apple, qui permettra de regarder des émissions téléchargées sur l'internet, sera deux fois moins coûteux, soit 119$. Et les émissions que l'on peut télécharger dès le lendemain de leur diffusion, et visionner sans aucune publicité, sont maintenant trois fois moins coûteuses, soit 99 cents.

C'est néanmoins plus cher que les sites de streaming d'émissions et de films qui sont interrompues par des publicités (comme Hulu) ou dont les durées de visionnement gratuit sont limitées (Megavideo).

Bref, pour regarder uniquement l'émission qui m'intéresse à l'heure que je veux, sans pub et sans avoir à me déplacer au club vidéo, je suis prête à résilier mon coûteux contrat de télédistribution sur-le-champ.

Ce qui freine encore Apple, c'est l'offre encore restreinte d'émissions. Les chaînes Fox, ABC, Disney et BBC America ont accepté de jouer le jeu d'Apple. Mais pas NBC ou CBS, qui hésitent à brouiller leurs relations avec les câblodistributeurs, qui leur fournissent une part significative de leurs revenus.

C'est encore plus vrai au Québec pour les émissions en français. D'autant plus que TVA ne viendra pas couper l'herbe sous le pied de sa société soeur Vidéotron.

Par ailleurs, les câblodistributeurs qui offrent le service internet contrôlent aussi l'accès à la résidence. En facturant d'importants coûts supplémentaires pour les téléchargements qui excèdent les limites autorisées par les forfaits, les câblodistributeurs peuvent étrangler la croissance d'Apple TV et compagnie. (Google lancera aussi son propre service télé.)

Cette menace qui pèse sur les télédistributeurs n'est pas imminente. Mais disons que le ver est dans la pomme.

J'ai sursauté en lisant le communiqué de presse de Vidéotron qui invite les journalistes à assister au lancement de son service sans fil. On y précise que la conférence de presse sera retransmise en direct sur la chaîne communautaire Vox!

J'écris chaîne communautaire, mais ce n'est plus ainsi que Vox se définit sur son site internet, même si elle est encore réglementée comme telle par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Depuis 1999, la chaîne dit avoir changé sa vocation et se décrit comme une «télé de proximité qui se différencie par son caractère participatif et expérimental et qui offre une place prépondérante à la relève et aux projets par les citoyens».

Quoi qu'il en soit, il n'y a rien de bien participatif à visionner une conférence de presse sur un lancement de produit. Ce n'est rien d'autre qu'une immense infopublicité au profit de Vidéotron.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca