L'Association médicale canadienne (AMC) a publié récemment un sondage-choc montrant que les Canadiens, surtout ceux âgés de 40 ans et moins, craignent de payer de plus en plus cher à mesure que les baby-boomers prendront leur retraite et deviendront de plus en plus dépendants de l'État. Pourtant, des chiffres publiés récemment par Statistique Canada en rassureront plusieurs.

Ces chiffres tombent à point. L'inquiétude chez les jeunes travailleurs, fin trentaine début quarantaine, peut même friser l'angoisse: certains vont même jusqu'à se demander s'ils ne devront pas eux-mêmes retarder leur date de retraite pour assurer le financement des soins de santé des aînés. Les propos alarmistes du docteur Robert Ouellet, président sortant de l'AMC, qui prédit déjà un «tsunami gris», n'ont rien fait pour calmer les esprits.

La semaine dernière, dans cette chronique, j'ai exprimé l'opinion que nous sommes encore bien loin de la catastrophe, et que le tsunami appréhendé produira beaucoup moins de dommage que prévu. Les retraités d'aujourd'hui ont des placements, des caisses de retraite, des REER, et ils sont en bien meilleure santé que leurs parents au même âge. Ils seront donc beaucoup moins dépendants de l'État.

Vous avez été nombreux, chers lecteurs, à réagir à cette chronique. Les jeunes, surtout, sont loin d'être convaincus:

M. Lamoureux, 40 ans: «Ce ne sont pas les 30 minutes de marche ou les 15 000$ de REER ou le capital immobilier qui vont compenser pour les énormes coûts de santé et d'hébergement.»

M. Bissonnette, 41 ans: «Je me vois bien dans la chaloupe générationnelle qui est juste derrière cette immense vague grise; non seulement elle emportera tout sur son passage, elle ne laissera que désolation et dévastation une fois qu'elle se sera retirée.»

M. Gagnon, 36 ans: «C'est vrai qu'en 2010, les retraités ont plus d'argent que leurs parents, mais j'ai de la misère à croire qu'ils sont aussi riches que cela.»

Voici donc les chiffres. Ils sont extraits de la dernière livraison de L'emploi et le revenu en perspective, une publication spécialisée de Statistique Canada.

L'agence fédérale a étudié l'évolution des revenus familiaux des particuliers sur une période de plus de 20 ans. Ainsi, on a suivi des gens âgés de 54 à 56 ans en 1983 jusqu'en 2006, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'ils aient atteint entre 77 et 79 ans. La recherche couvre entre 80% et 85% de la population canadienne à l'aube de la retraite.

Les résultats: dans la mi-cinquantaine, le revenu total moyen se situait à 50 000$; 10 ans plus tard, à 46 700$; enfin, 20 ans plus tard, aux alentours de 75 ans, à 42 700$.

Ces montants tiennent compte de l'inflation.

Autrement dit, il est vrai que le revenu diminue avec l'âge, mais la baisse est loin d'être dramatique. À 75 ans, les revenus des aînés atteindront en moyenne 85% des revenus qu'ils touchaient 20 ans plus tôt sur le marché du travail.

Comment cela se peut-il?

C'est que, de plus en plus, les caisses de retraite, les REER et les régimes publics viennent remplacer les revenus du travail.

Voyons plutôt.

Comme on peut s'y attendre, les salaires (ou revenus de travail autonome) représentent près de 80% des revenus des gens âgés de 54 à 55 ans. Dans ce groupe d'âge, il y a encore peu de retraités, mais les régimes de retraite privés représentent tout de même 6% des revenus. Le reste provient essentiellement d'autres sources (revenus de placement ou de location, gains en capital, prestations sociales).

Pour les gens âgés de 64 à 66 ans, le portrait change radicalement. À ce stade, les gains sur le marché du travail ne représentent plus que 30% des revenus totaux (ce qui indique quand même qu'une bonne proportion de personnes âgées de 65 ans continuent de travailler). En revanche, les pensions (caisses de retraite privées et régimes publics comme la Régie des rentes, la pension de vieillesse et le supplément de revenu garanti) fournissent plus de 50% des revenus. Il faut enfin compter 20% pour les revenus d'autres sources.

Entre 74 et 76 ans, les revenus du travail ont fondu à 10%, mais les régimes de retraite publics et privés dépassent maintenant 70% des revenus totaux.

Ce que ces chiffres nous disent, c'est que les aînés, même après 65 ans, continueront de payer des impôts, en partie parce qu'ils sont de plus en plus nombreux à rester sur le marché du travail, mais surtout parce qu'ils disposent de bien meilleures caisses de retraite que leurs prédécesseurs.

Dans ces conditions, l'image du retraité-dépendant-de-l'État correspond de moins en moins à la réalité, et il est fort probable que l'héritage des baby-boomers soit à des années-lumière d'une «immense vague de désolation et de dévastation».

Statistique Canada, chers lecteurs, peut encore nous renseigner avec autant de précision sur l'évolution des revenus selon l'âge. À l'avenir, elle ne le pourra plus. Les données dont vous venez de prendre connaissance n'auraient pu être colligées sans le questionnaire long du recensement, que le gouvernement conservateur a décidé de supprimer.