Je me souviens parfaitement de ma dernière journée de ski au Mont-Orford. C'était à l'hiver 2009. Comme il ventait, ma fille et moi skiions sur le mont Alfred-DesRochers, moins exposé aux bourrasques.

Mais les vieilles chaises ne cessaient de s'arrêter pendant de longues et glaciales minutes. Nous avons déménagé nos skis au mont Giroux. Erreur. Ma fille, qui avait 6 ans à l'époque, était terrorisée à l'idée de descendre de la chaise sur ce qui avait toutes les apparences d'une patinoire inclinée sur 15 mètres.

«Maman, je veux rentrer, a-t-elle insisté. Maman, je ne veux plus skier ici.»

La dernière saison a été plus clémente pour le mont Orford. La neige, plus généreuse, a masqué le manque de moyens de la station pour entretenir ses pistes. Mais le mal était pour ainsi dire fait pour ma fille et combien d'autres skieurs. Même si nous résidons à une quinzaine de minutes d'Orford, nous avons skié à Bromont...

Pour tous ceux qui ont les Cantons-de-l'Est à coeur, le mont Orford, qui domine la pointe du lac Memphrémagog, est un douloureux symbole d'échec. Pour le gouvernement libéral qui a cafouillé du début à la fin. Pour la région qui s'est entredéchirée sur son avenir. Nul besoin de ressasser cette histoire.

Mais ce feuilleton a laissé des traces. Qui voudrait reprendre un centre de ski déficitaire pris dans le carcan d'un parc national? Qui voudrait toucher à ce dossier hyper-politisé?

Aucun promoteur n'avait montré le bout de son nez au 28 mai, au moment où l'appel d'offres du gouvernement du Québec devait expirer à l'origine. Aucun. Il a fallu que Québec reporte la date limite à vendredi dernier pour qu'une entreprise présente une offre en bonne et due forme. L'arrivée de Camp Fortune Resort, une entreprise à capital fermé qui appartient aux frères Peter et Robert Andrew Sudermann, de l'Outaouais, représente une excellente nouvelle.

Remarquez, on ne sait rien de la proposition que les Sudermann ont soumise au gouvernement. Un comité d'experts indépendants l'étudiera, puisque le gouvernement ne veut plus toucher au dossier même avec une perche de 10 mètres.

Peut-être sera-t-elle irrecevable. Mais au moins, ces promoteurs connaissent l'industrie récréotouristique. Ils exploitent deux petits centres de ski, l'un en Outaouais, l'autre en Alberta. Et ils ne craignent pas de gérer une entreprise dans une zone protégée. Ils sont déjà propriétaires d'un centre de villégiature (le Camp Fortune) dans le parc de la Gatineau, fréquenté par les amateurs de vélo de montagne.

Cela fait déjà plus sérieux qu'Osmose Orford. Ce projet, éventé par La Presse jeudi dernier, en a fait sourciller plusieurs. Moi y compris. Vous pouvez me trouver fermée d'esprit si vous voulez, mais lorsque j'entre dans un chalet de ski, c'est pour me réchauffer en buvant un chocolat chaud. Pas pour m'engouffrer dans un monde de synthèse en 3D, une réalité virtuelle, sous un dôme qui s'appréhende à 360 degrés - et je traduis probablement mal ce concept de technologies immersives.

Cette idée de dôme - idéalement, il y en aurait plusieurs qui pousseraient sur le toit du nouveau chalet comme les chanterelles au pied du mont Orford - m'a fait penser au Technodôme. Vous vous rappelez, cet éphémère projet de cité des loisirs de 900 millions dans le Technoparc de Montréal que pilotaient Abraham et Albert Reichmann?

Ce supercomplexe devait abriter des salles de spectacles et d'expositions, des consoles de jeux multimédia, des plages et des bassins d'eau où les visiteurs pouvaient pratiquer du kayak en eaux vives artificielles. Sept mille jobs, rien de moins.

J'ai discuté avec l'homme d'affaires Marc Girard la semaine dernière. Et son projet n'est pas si «crack-pot» qu'il en a l'air. Cet homme d'affaires de Magog, expert en télécoms, veut créer un centre de formation et de création en multimédia et en réalité virtuelle. Il prend pour modèle le très respecté Centre des arts de Banff. Les oeuvres créées à Orford et ailleurs seraient diffusées dans le centre, attirant les touristes qui fréquentent déjà les Cantons-de-l'Est.

C'est un atout de taille dans cette région où il n'y a pas grand-chose à faire à part le bowling lorsque la météo ne collabore pas.

Marc Girard n'a rien d'un têteux de subvention, comme on le dit familièrement. C'est un homme d'affaires qui a sa région à coeur et qui se désole de la voir s'étioler avec sa base manufacturière qui se meurt. Mais pour que son projet d'Osmose Orford se réalise, la ville de Magog et le canton d'Orford doivent se doter d'une infrastructure de télécommunications de pointe.

C'est possible dans la mesure où Hydro-Magog est propriétaire de son réseau de distribution. Mais, contrairement à ce que laisse entendre Marc Girard, aucune décision d'investir dans un tel réseau n'a encore été prise par la Ville. «C'est prématuré», dit la mairesse de Magog, Vicki May Hamm.

Magog cherche à attirer des entreprises de la nouvelle économie et à revitaliser ses vieilles usines de textile au bord de la rivière Magog. Mais la municipalité n'a pas encore déterminé avec précision l'industrie qu'elle ciblera, ses études de marché n'étant pas complétées.

Osmose Orford est si embryonnaire qu'il était téméraire d'en faire la promotion. Mais dans ce Québec qui est trop prompt à tuer tout ce qui est différent et novateur, c'est un projet qui laisse entrevoir des perspectives intéressantes. Encore qu'il n'a rien à voir avec un centre de ski - quoi qu'en pense Marc Girard.

Espérons que Marc Girard ne rentrera pas dans ses terres, comme il le dit lui-même, si Québec ne retient pas son idée pour le mont Orford. Espérons qu'il ira au bout de son projet et qu'il montera un vrai plan d'affaires. Ce ne sont pas les terrains qui manquent à proximité de la montagne. Et qui sait s'il ne pourra pas s'associer aux nouveaux gestionnaires de la station Orford.

La montagne pourrait accoucher d'une bonne idée.

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