Est-il légal de faire payer par sa société privée des travaux effectués à sa résidence personnelle?

Le 15 juin dernier, les médias ont rapporté que Julie Snyder était poursuivie par un entrepreneur pour des travaux non payés qui ont été effectués à sa résidence personnelle d'Outremont, mais facturés, à sa demande, au nom de sa compagnie privée, Les Productions 1m60 Inc., sise à une autre adresse. On parle ici de travaux de rénovation qui, selon la poursuite, touchaient notamment différentes pièces de la propriété, dont la chambre de bébé, la cuisine et le «walk-in PKP» de son célèbre mari. La poursuite contre Julie Snyder et sa compagnie s'élève à 23 987$, lequel montant correspondrait au solde non encore payé à BCI Construction.

À la suite de la publication de cette nouvelle, une pluie de propos sarcastiques a arrosé le couple Snyder-Péladeau. Ce n'est pas la poursuite pour facture impayée qui alimente le sarcasme mais plutôt le fait de faire payer les travaux de la maison par la compagnie de madame.

Avis aux détracteurs du populaire couple: il n'y a rien d'illégal dans la décision de faire payer le coût de ses rénovations personnelles par l'entremise de sa compagnie privée. Il suffit de respecter les règles fiscales.

Pour clarifier la situation, voici la question que nous avons soumise à l'Agence du revenu du Canada: «Monsieur X fait effectuer des travaux personnels à sa maison. À sa demande, l'entrepreneur facture la compagnie privée de monsieur. La compagnie paye la facture. Y a-t-il quelque chose d'illégal là-dedans?»

D'entrée de jeu, Revenu Canada nous rappelle qu'une société (entreprise) est en soi «une entité distincte» de son actionnaire.

Mettons que l'entreprise de Monsieur X a payé une facture de 30 000$ pour des travaux réalisés à des fins personnelles à sa résidence.

Premier point fiscal à respecter: l'entreprise ne peut déduire de ses revenus cette facture de 30 000$ pour les travaux personnels de Monsieur X. Ces dépenses personnelles, explique Revenu Canada, ne sont pas admissibles car elles n'ont pas été encourues dans le but de générer un revenu d'entreprise.

Deuxième point à retenir. Comme les dépenses personnelles payées par l'entreprise ne sont pas déductibles, l'actionnaire Monsieur X devra s'imposer sur l'utilisation des fonds de la société (soit les 30 000$) qui ont servi à payer la facture des travaux de rénovation personnelle.

Aux yeux du fisc, ce débours de 30 000$ effectué par la compagnie privée représente entre les mains de Monsieur X un revenu de dividende. (Ce qui est tout de même un moindre mal puisqu'un dividende est imposé à un taux d'impôt combiné nettement inférieur à un revenu d'emploi.)

Ainsi, faire payer par son entreprise des dépenses personnelles a automatiquement un impact fiscal important sur l'actionnaire.

Par ailleurs, est-ce également le cas quand les dépenses personnelles assumées par la société privée sont remboursées par l'actionnaire? Oui.

Pourquoi? Parce que l'utilisation des fonds de la société par son actionnaire à des fins personnelles «n'est pas acceptable» au point de vue fiscal, ajoute Revenu Canada.

«À partir du moment où l'actionnaire utilise les fonds de la société, il y a un intérêt réputé qui doit se calculer (sur les 30 000$ de notre exemple) et être inclus au revenu de l'actionnaire. Ce calcul d'intérêt se termine au moment où l'actionnaire rembourse la société.»

C'est donc dire que l'actionnaire devra s'imposer sur ledit «intérêt réputé» dans sa déclaration personnelle. Précisons que cet «intérêt réputé» devient lui aussi un revenu de dividende entre les mains de l'actionnaire.

Le point sur la légalité de l'utilisation personnelle des fonds d'une société privée par son actionnaire étant fait, qu'arriverait-il si la société déduisait de ses revenus les dépenses personnelles de son actionnaire?

Un, la société se placerait dans une situation illégale. Deux, même chose pour l'actionnaire bénéficiaire de la déduction illégale desdites dépenses personnelles. Par ricochet, l'actionnaire se trouve ainsi à cacher au fisc le «revenu» qu'il a tiré indirectement de l'entreprise en la faisant payer des dépenses personnelles.

Quelle sera la sanction si le fisc découvre le pot aux roses? Étant considéré comme une appropriation illégale de fonds, le revenu non déclaré de l'actionnaire sera assujetti à une pénalité d'un montant de 50% de l'impôt à payer sur ce revenu. Et sachez que Revenu Québec emboîtera évidemment le pas.

Un conseil aux gens qui utilisent leur entreprise privée pour déduire des dépenses personnelles: dépêchez-vous à faire une divulgation volontaire avant que le fisc enclenche une vérification des états financiers de l'entreprise.

Vous éviterez ainsi les lourdes pénalités.