Les observateurs pensent que l'Afrique du Sud deviendra le premier pays hôte à être éliminé au premier tour. Et pourtant, dans la nation des Bafana Bafana, la confiance règne.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Thabang Kwenaite ne doute de rien.

«Les Bafana Bafana sont dans une forme splendide et leur jeu de passe est tout simplement magnifique. Ils ne font pas encore partie des grands, mais ils peuvent faire jeu égal avec eux. Avec tout l'appui qu'ils vont recevoir, je pense qu'ils vont gagner la Coupe du monde.»

Thabang a 14 ans. Il est ailier gauche pour les Blue Eagles, un club des townships de l'ouest de Pretoria. Et comme la grande majorité des 48 millions de Sud-Africains, il sera rivé à son écran, aujourd'hui, quand l'équipe nationale du pays affrontera le Mexique en lever de rideau de la Coupe du monde 2010, à Soccer City, le stade de 88 000 places aux airs de calebasse situé aux confins de Johannesburg et de Soweto.

L'optimisme de l'adolescent peut sembler mal placé. Après tout, pour leur troisième participation au Mondial (après 1998 et 2002), les Bafana Bafana - «les garçons», en zoulou - pointent modestement au 83e rang du classement mondial de la FIFA, loin derrière le Mexique (17e). L'équipe, qui a employé une douzaine d'entraîneurs en autant d'années, serait carrément exclue de la fête si l'Afrique du Sud n'était pas le pays hôte.

Mais Thabang n'est pas tout seul à voir l'avenir en rose - ou plutôt en jaune, la couleur de l'équipe nationale. Un vent de folie souffle présentement sur la nation arc-en-ciel. Comment expliquer autrement le fait que des dizaines de milliers d'habitants de Johannesburg aient convergé vers le faubourg de Sandton pour ovationner les joueurs avant même le début de la compétition, mercredi?

Les omniprésentes vuvuzelas (à ce stade, vous avez sûrement entendu parler de ces assourdissantes trompettes de plastique qui font des merveilles pour l'industrie des boules Quies) ont enterré les rares esprits chagrins qui osent encore prédire que l'Afrique du Sud deviendra le premier pays organisateur d'une Coupe du monde à ne pas franchir le premier tour. La ferveur patriotique est à son comble. Et les attentes sont énormes envers une formation qui ne s'est pourtant même pas qualifiée pour la dernière Coupe d'Afrique des nations (CAN), en janvier.

Il faut dire qu'il y a des précédents. Il y a 14 ans - l'âge de Thabang Kwenaite - l'Afrique du Sud, fraîchement réintégrée dans le giron de la FIFA après plus de trois décennies d'exclusion, avait remporté sur son territoire cette même Coupe d'Afrique. Contre toute attente.

«Je mentirais si je disais qu'avant le début du tournoi, nous avions foi en nos chances de l'emporter», m'a dit cette semaine le capitaine de l'équipe victorieuse en 1996, Neil Tovey. «Mais plus les victoires se succédaient, plus nous nous sommes mis à y croire.»

Un an après le triomphe des Springboks du capitaine François Pienaar à la Coupe du monde de rugby, cette victoire inattendue d'une équipe multiraciale (plus que celle de cette année, qui ne compte qu'un Blanc, l'arrière Matthew Booth) avait non seulement fait écho à l'esprit du moment, à quelques semaines du début des travaux de la Commission vérité et réconciliation. Elle avait aussi pavé la voie à l'obtention de la Coupe du monde par l'Afrique du Sud, croit Tovey. «Si la FIFA accorde l'organisation d'un tournoi à un pays, elle veut qu'il soit capable de jouer sans faire un fou de lui. Notre victoire nous a donné la confiance nécessaire pour essayer d'obtenir la Coupe du monde.»

L'effet Parreira

La confiance. Il y a longtemps que les Bafana Bafana n'en ont pas eu d'aussi amples réserves qu'en ce moment. Le retour de l'entraîneur brésilien Carlos Alberto Parreira, il y a six mois - son premier séjour à la barre de l'équipe avait tourné court quand il avait dû rentrer au chevet de sa femme malade - a stabilisé une barque qui s'en allait à la dérive.

L'équipe est invaincue à ses 12 derniers matchs, une séquence qui inclut des victoires contre des poids plumes comme le Guatemala et la Thaïlande, certes, mais aussi un 1-0 convaincant contre le Danemark, lors de son ultime match préparatoire, samedi dernier à Pretoria.

Parreira n'est pas né de la dernière pluie. Entraîneur du Brésil quand la Seleçao a remporté le Mondial de 1994, il a aussi dirigé le Koweït, les Émirats arabes unis et l'Arabie Saoudite, puis de nouveau le Brésil il y a quatre ans. Il est l'un des deux entraîneurs à avoir conduit cinq pays différents à la Coupe du monde.

«Si nous avons accompli quelque chose, c'est de redonner à cette équipe son identité. Nos forces se trouvent dans la technique et les habiletés individuelles. Nos joueurs sont encouragés à garder la possession du ballon et à s'amuser en jouant, a dit Parreira, hier. C'est un pays qui adore le football, un pays très semblable au Brésil. Les gens aiment la danse et le rythme et ils veulent que ça se répercute sur le terrain. Quand nos joueurs ont le ballon, il faut leur donner la liberté de jouer.»

La veille, sur le terrain de rubgy raboteux où il s'entraîne avec les Blue Eagles, Thabang Kwenaite me disait la même chose. «Nous commençons tous à jouer à un très jeune âge. La finesse de notre jeu vient des années que nous avons passées à jouer au foot dans la rue.»

Une participation à la finale, n'en déplaise à Thabang, est pratiquement impossible, tellement la compétition est forte. Comme les Springboks en 1995, les Bafana Bafana comptent sur un Pienaar: de son prénom Steven, le meneur de jeu d'Everton est la clé de voûte du 4-5-1 sud-africain. Mais là s'arrête la comparaison. Ce n'est pas ce mois-ci qu'on tournera la suite d'Invictus.

Il n'est toutefois plus impossible d'imaginer que l'Afrique du Sud parvienne en ronde des 16, où elle affronterait vraisemblablement la menaçante Argentine de Lionel Messi. Pour cela, dans un groupe qui comprend deux autres adversaires peu commodes - la France et l'Uruguay, 5e et 16e au monde - une victoire contre le Mexique aujourd'hui apparaît capitale.

«Nous avons une énorme montagne devant nous, m'a dit hier l'ancien sélectionneur sud-africain Clive Barker. Mais si nous battons le Mexique et que nous allons chercher un résultat contre l'Uruguay, nous pourrions passer au tour suivant.»

Photo: Masimba M Sasa

Thabang Kwenaite, 14 ans, est un ailier gauche des Blue Eagles, de l'ouest de Pretoria. Pour lui, il n'y a pas de doute: l'Afrique du Sud va remporter la Coupe du monde.