«Quand j'ai signé mon contrat de promoteur, j'étais dans mon bureau, le 27 novembre. J'avais le poil hérissé sur mes bras tellement j'étais ému.» François Dumontier s'en souvient parfaitement. Son personnel était tout près, partageant son émotion.

À 43 ans, après des années à l'Université Normand Legault, comme il le dit, il prenait la succession et plongeait à son tour dans l'univers nébuleux de Bernie Ecclestone.

«Je suis promoteur de plein droit. Bernie Ecclestone reçoit les 15 millions versés par les trois ordres de gouvernement et moi, je paye la différence pour obtenir le plateau à Montréal. Puis, avec les revenus de la billetterie générale, je vais calculer les 30% qui doivent revenir aux gouvernements après certaines dépenses et je vais en tenir compte dans mon paiement à Ecclestone. Mais s'il n'y a pas de monde dans les gradins, si les gens ne viennent pas à la course, c'est mon entreprise, Octane, qui va écoper. C'est le risque de la promotion», dit-il.

Dumontier sourit en expliquant la situation. C'est qu'on pourrait afficher complet dès le milieu de la semaine tellement les billets se sont envolés. Ce qui ferait grand plaisir à B'wana B'rnie, qui vient de présenter quelques courses devant des gradins vides ou remplis de soldats et de travailleurs conscrits.

«J'ai repris un Grand Prix du Canada qui faisait partie des meilleurs du monde grâce au travail et à l'expertise de Normand Legault. La pression, c'est de le maintenir à ce niveau. Et si possible, d'en faire un succès encore plus grand. Le secret pour garder ce standing, c'est de continuer ce que Normand (Legault) a fait. Vivre la grande tradition. Les amateurs font partie de cette tradition. Nous avons eu Gilles Villeneuve, puis Jacques, mais leur absence n'a pas empêché les fans de s'intéresser à la Formule 1. Il y a une culture F1 au Québec qui nous oblige à offrir un produit haut de gamme», d'expliquer le promoteur.

Et il ajoute en pesant chaque mot: «Il ne faut pas oublier que les contribuables feront un bon marché avec la Formule 1 si le Grand Prix est un succès. Sinon, on versera 15 millions par année sans obtenir les retombées prévues.»

Pour cette année, pas de problème. Avec des gradins et des hôtels pleins, le fédéral et le provincial vont faire la passe avec la TPS et la TVQ. Ils investissent 9 millions et pourraient toucher le double en incluant les impôts sur les revenus des travailleurs qui feraient moins d'argent sans le Grand Prix. Quant à Tourisme Montréal, on sait que l'été de sécheresse touristique de l'an dernier a fait mal à l'industrie. L'absence du Grand Prix et la situation économique épouvantable aux États-Unis et en Europe ont frappé dur. Et coûté des dizaines de millions qu'il faut récupérer.

Photo: Reuters

François Dumontier, président de Groupe de course Octane, promoteur du Grand Prix du Canada.

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Il y a eu le 27 novembre 2009, jour des noces entre Ecclestone et Dumontier. Mais avant, il y avait eu la «rencontre». En fait, ce fut un coup de téléphone. Dumontier était au courant des négociations et des efforts de Michael Fortier pour ramener le Grand Prix. Il se disait que B'wana aurait sans doute besoin de quelqu'un pour l'épauler au Canada.

On croyait qu'il serait promoteur et embaucherait un opérateur: «Je faisais le décompte des gens capables de prendre la relève de Normand Legault et je me disais que je devais faire partie du groupe», raconte-t-il.Puis, fin mai, le téléphone a sonné. C'était Ecclestone: «Il m'a dit qu'il était au courant de ce que j'avais fait dans le sport automobile et qu'il était prêt à me rencontrer à Londres si ça m'intéressait», raconte Dumontier.

Preuve qu'il avait bien suivi ses cours à l'Université Legault, il n'a pas rappelé tout de suite: «J'aurais pu m'acheter un billet d'avion et filer à Londres, mais je me suis dit qu'il valait mieux prendre mon temps. J'ai attendu trois semaines avant de rappeler M. Ecclestone et nous avons convenu d'une rencontre à ses bureaux à Londres», de dire Dumontier.

C'est là que les négociations ont commencé. On était le 16 juin, il y a 51 semaines. Dumontier a eu droit à la salle à l'entrée des bureaux, pas plus, et à une heure.

Il est retourné début septembre. Cette fois, ça s'est passé dans le bureau d'Ecclestone et la rencontre a duré cinq heures. Le gros du travail était fait quand il est sorti des bureaux de FOM.

Un autre voyage à Londres en octobre a permis de conclure le marché. Il était évident qu'Ecclestone avait besoin du Canada pour sa Formule 1 et qu'il ne souhaitait pas se transformer en vendeur de billets à Montréal. Il voulait un vrai promoteur et c'est ce qui fut convenu.

«Ce qui était inquiétant, c'était de savoir si les fans allaient bouder la Formule 1 après avoir été privés de leur sport pendant une année dans les circonstances qu'on sait. Nous avons mis les billets en vente à la mi-décembre et tout de suite les choses ont décollé. Dès le départ, je me suis senti à l'aise dans ce rôle. Après tout, je suis, comme le disait Normand Legault, un organisateur d'événements spéciaux. Je fais mon travail», dit-il.

Il n'a pas pris de chance. Il s'est rendu en Allemagne et en Grande-Bretagne pour y faire la promotion du Grand Prix du Canada. Ce sont les deux marchés les plus importants pour la F1. Et dimanche, pour la première fois sans doute de son histoire à Montréal, les feux rouges vont s'éteindre à midi pile pour lancer la course au lieu des 13 heures traditionnelles: «Il y a un match de la Coupe du monde en après-midi et je ne voulais pas prendre de risque inutile. Tout le monde y gagne dans ce changement», dit-il.

Le premier match d'une série de cinq semble gagné. Il en reste quatre à disputer. Et peut-être que dans cinq ans, alors qu'il sera âgé de 84 ans, Ecclestone ne sera pas assis devant Dumontier pour négocier la suite des choses.

Quatre-vingt-quatre ans? Peut-être...

Photo fournie par François Dumontier

François Dumontier se souvient parfaitement du moment où il a signé son contrat de promotion du Grand Prix du Canada, le 27 novembre dernier dans les bureaux de son entreprise, Groupe de course Octane, à Montréal.