Le président Barack Obama est pour. L'Allemagne est pour, le Royaume-Uni est pour, la France est pour. Et le puissant Fonds monétaire international aussi. Avec de tels appuis, il semblerait bien que l'idée d'imposer une taxe mondiale sur les banques a de bonnes chances de s'imposer.

Le projet est simple: cette taxe servirait à constituer un fonds de deux mille milliards de dollars, de quoi faire face à toute éventuelle crise financière comme celle que le monde vient de traverser, et qui a vu les gouvernements venir à la rescousse des banques aux frais des contribuables.

Après tout, ce sont les banques qui ont déclenché le cataclysme, c'est aux banques, et non aux gouvernements, qu'il appartient de financer ce gigantesque fonds de prévoyance.

Et puis voici qu'entre en scène Jim Flaherty, ministre canadien des Finances, et qui risque de tout faire déraper. Cette semaine, le premier ministre Stephen Harper a catégoriquement appuyé son ministre: pas question pour le Canada d'embarquer là-dedans. Déjà, le Brésil, la Chine, l'Australie se rangent derrière le Canada.

J'entends déjà les cris d'indignation: «On sait bien, Harper et les banques, c'est copains-copains.»

Pourtant, dans ce dossier, MM. Harper et Flaherty ont raison.

À première vue, l'idée de créer un fonds de prévoyance financé par l'ensemble des institutions bancaires de la planète est alléchante. Mais cette voie facile, populaire pour ne pas dire populiste, passe complètement à côté du vrai problème. Elle comporte aussi deux inconvénients extrêmement dangereux:

> C'est un appel à peine voilé à l'irresponsabilité et à l'imprudence. Sans filet de protection, les banques américaines se sont lancées tête baissée dans des créances hypothécaires en misant sur la valeur future des propriétés plutôt que sur la solvabilité des emprunteurs. C'est ce qui est à l'origine de la crise. Imaginez ce qui se passerait s'il existait un fonds de prévoyance de deux mille milliards. Comptez sur les banques les plus cow-boys pour s'étirer le cou; ce n'est pas grave, si ça ne marche pas, le fonds va nous dépanner.

> Il saute aux yeux que les banques vont refiler la taxe à leurs clients. Ce sont donc les consommateurs qui vont écoper, en payant des frais plus élevés et en subissant des diminutions de service. Les actionnaires aussi risquent de passer à la caisse. Or, justement, les principaux actionnaires des banques, ce sont les travailleurs et les épargnants, par l'entremise de leurs caisses de retraite, fonds communs de placement, portefeuilles boursiers. À elle seule, la Caisse de dépôt et placement, le bas de laine des Québécois, a investi dans près d'une centaine de banques et institutions financières dans le monde (incluant évidemment les six grandes banques canadiennes), et la valeur de ces placements frise les 2,5 milliards. Et le Caisse n'est qu'un acteur parmi les centaines de grosses institutions dans le monde qui gèrent les cotisations des futurs retraités.

Ce n'est pas tout. D'un point de vue canadien, obliger les banques à financer un fonds de dépannage revient à les punir pour un péché qu'elles n'ont pas commis. S'il est une chose que la crise financière a permis de constater, c'est la solidité du système bancaire canadien. Contrairement à ce qui s'est passé ailleurs, aucune banque canadienne n'a fait faillite, ni même approché la faillite de loin. Aucune n'a eu besoin de fonds publics pour surmonter la crise.

Pourquoi? Parce que les banques canadiennes (c'est aussi vrai pour les institutions de juridiction provinciale, comme les caisses populaires) font l'objet d'un encadrement réglementaire strict. Si las même réglementation existait aux États-Unis, il n'y aurait jamais eu de crise financière.

L'occasion est bonne pour rappeler que les banques canadiennes, contrairement à une opinion largement répandue, paient déjà beaucoup d'impôts. À eux seuls, les impôts payés au fédéral et aux provinces par les six grandes banques constituent la principale composante de l'impôt des sociétés. Au cours des trois dernières années, elles ont payé 24 milliards en impôts de toutes sortes (pour la même période, leurs profits après impôts se sont élevés à 46 milliards).

M. Flaherty ne fait pas que s'opposer à une éventuelle taxe mondiale. Il propose aussi une solution. Il faut que l'ensemble du système bancaire international se dote, à l'instar du Canada, d'une réglementation qui oblige les banques à être suffisamment capitalisées, à éviter les créances douteuses, à miser sur la solvabilité des emprunteurs plutôt que sur leur valeur future. C'est une voie plus complexe et plus ardue que de décréter une nouvelle taxe, mais c'est là que se trouve la solution.

Déjà, le Sénat américain, cette semaine, a approuvé une nouvelle série de mesures contraignantes à l'égard des grandes banques du pays. C'est un immense pas dans la bonne direction.