Roy, Brodeur, Luongo, Giguère, Théodore, Fleury: les gardiens de but québécois ont longtemps constitué la classe dominante dans la Ligue nationale de hockey. Mais rien n'est éternel et le changement de garde annoncé depuis un moment semble finalement se concrétiser: pour la première fois depuis le lock-out de 2005-2006 et la deuxième fois seulement en 10 ans, aucun gardien québécois ne participera aux finales d'association.

Celles-ci mettront plutôt aux prises un gardien ontarien, Michael Leighton (Philadelphie) et trois Européens- le Slovaque Jaroslav Halak (Montréal), le Russe Evgeni Nabokov (San Jose) et le Finlandais Antti Niemi (Chicago). Il y aurait même eu un quatrième Européen si les Bruins de Boston et le compatriote de Niemi, Tuukka Rask, avaient battu les Flyers de Philadelphie, hier soir.Le réputé entraîneur de gardiens François Allaire n'est pas étonné de la prépondérance actuelle des gardiens du Vieux Continent.

 

«Ce n'est pas une surprise, dit-il. On n'a qu'à regarder les statistiques de la Ligue nationale. Les gardiens européens ont beaucoup de succès et représentent près de 30% de tous les gardiens et ils n'occupent pas juste des rôles secondaires. C'est assez impressionnant.»

C'est le moins qu'on puisse dire. Parmi les 25 gardiens ayant remporté le plus de victoires cette saison, 12 sont nés de l'autre côté de l'Atlantique. La proportion est la même chez les 25 gardiens ayant maintenu le meilleur pourcentage d'efficacité.

Les Québécois continuent de se distinguer en saison régulière: Martin Brodeur a fini premier pour le nombre de victoires, Roberto Luongo, cinquième, Marc-André Fleury, neuvième, et José Théodore, 15e.

Mais aucun d'entre eux n'a brillé au cours des séries. Au contraire. Brodeur a maintenu un taux d'efficacité très ordinaire de 88,1% dans la courte série Devils-Flyers, au premier tour. Luongo (89,5%) n'a guère fait mieux et a carrément implosé dans la dernière défaite des Canucks contre les Blackhawks, tout comme Fleury dans le septième match contre le Canadien. Quant à Théodore, il ne s'est même pas rendu au bout du deuxième match de la série Capitals-Canadien.

À part Fleury, qui n'a que 25 ans, tous ces gardiens ont franchi le cap de la trentaine: Brodeur a 38 ans, Théodore, 33, et Luongo, 31. «Il y a eu une vague très importante et tout le monde parlait du Québec, dit Allaire, qui supervise un Québécois, Jean-Sébastien Giguère, et un Suédois, Jonas Gustavsson, chez les Maple Leafs de Toronto. Mais cette vague est terminée. Il y a toujours un ou deux Québécois repêchés chaque année, mais l'engouement est moins important qu'avant.» Jonathan Bernier, qui évolue dans l'organisation des Kings de Los Angeles, est l'un des rares gardiens issus de la province qui cognent présentement à la porte de la LNH.

Selon Allaire, ce retour du balancier était prévisible. «On est un pays de 7 millions d'habitants et on occupait 25% des postes de gardiens de la LNH. On avait trois fois plus de gardiens que les États-Unis, un pays de 300 millions de personnes! Il faut être réaliste. Le hockey se mondialise et le Québec ne pouvait pas avoir éternellement le quart des 60 gardiens de la ligue.»

C'est d'autant plus vrai qu'il y a des modes dans le recrutement des gardiens. «Quand Dominik Hasek a connu du succès, tous les dépisteurs se sont tournés vers la République tchèque et beaucoup de gars de là-bas ont été repêchés, comme Roman Turek et Roman Cechmanek. Mais le succès a été moyen. Le seul qui est encore ici, c'est Tomas Vokoun.»

Même chose après l'émergence d'Henrik Lundqvist chez les Rangers de New York. Les regards se sont instantanément tournés vers la Suède. «Un paquet de gardiens sont venus, dit Allaire. Mais il reste qui? Johan Hedberg à Atlanta et c'est à peu près tout.»

La vogue actuelle est aux gardiens finlandais. Huit d'entre eux ont évolué dans la LNH cette saison. Certains sont là depuis longtemps, comme Miikka Kiprusoff, le vétéran des Flames de Calgary. D'autres, tels Niemi et Rask - un gardien qu'Allaire admire particulièrement -, achèvent leur première véritable saison dans la ligue.

«Il faut donner crédit aux Européens, dit Allaire. Ils avaient déjà une meilleure base athlétique (que celle des gardiens nord-américains) parce qu'ils s'entraînent hors glace 11 mois par an. Mais ils ont aussi rattrapé ce qui se fait ici sur le plan technique. Quand Jonas Hiller (qu'Allaire entraînait auparavant à Anaheim) est arrivé de Suisse, il était prêt à faire face dès la première année, tant d'un point de vue technique qu'athlétique.»

Les connaissances circulent beaucoup plus vite qu'autrefois, note Allaire. «Quand j'étais à Montréal, on pouvait être tout seuls pendant quatre ou cinq ans à faire certaines choses. Maintenant, la vitesse de réaction est foudroyante à cause de la vidéo et des matchs qui sont accessibles partout, même en Europe. Dès qu'une tendance se crée, elle est copiée très rapidement ailleurs, à un bas âge.»

L'ancien gourou de Patrick Roy ne serait pas surpris que la Slovaquie soit le prochain pays ciblé par les recruteurs. «Les succès de Halak vont entraîner de bons jeunes athlètes slovaques devant le filet et inciter les dépisteurs à surveiller les gardiens de ce pays et non plus seulement les attaquants», estime-t-il.

Halak, le Hasek ou le Lundqvist slovaque? Il y a pire insulte.