L'offre d'achat non sollicitée de la chaîne de dépanneurs américains Casey's General Stores ne ressemble pas du tout à Alimentation Couche-Tard, qui a été beaucoup plus conservatrice dans ses acquisitions ces dernières années.

C'est ainsi qu'un analyste financier de Valeurs mobilières Desjardins a qualifié cette proposition d'achat de 1,9 milliard de dollars américains. Proposition que le conseil d'administration de Casey's a prestement repoussée vendredi.

Cet analyste voit juste, mais peut-être pas pour cette raison. En effet, il est étonnant que Couche-Tard s'intéresse à une entreprise aussi bien gérée et aussi peu endettée que l'est Casey's, une chaîne de plus de 1500 dépanneurs solidement implantée dans le Midwest. L'entreprise lavalloise a pour habitude de cibler des canards boiteux dont elle peut améliorer les façons de faire et rehausser significativement la rentabilité.

En revanche, ce n'est pas la première fois que Couche-Tard lance une offensive sans s'être entendue au préalable avec l'entreprise qu'elle souhaite acquérir. C'est ce qui est arrivé avec la société Silcorp, une transaction charnière qui avait fait de Couche-Tard le plus grand propriétaire de dépanneurs au Canada à la fin des années 90.

À l'instar de Casey's, Silcorp avait repoussé au départ l'offre d'achat de Couche-Tard pour ses 570 dépanneurs de l'Ontario, de l'Ouest et du Michigan. À la fin, toutefois, Silcorp avait fini par négocier les termes de sa reddition - à des conditions nettement plus avantageuses.

«Comme avec Silcorp, on envisage d'en arriver à une entente de façon négociée», dit Raymond Paré, vice-président et chef de la direction financière de Couche-Tard, en entrevue téléphonique.

Sauf que les péripéties de l'acquisition de Silcorp sont révélatrices des difficultés qui se dressent devant Couche-Tard et de l'opposition à laquelle le détaillant québécois pourrait faire face. Retour sur un grand feuilleton qui a tenu pendant cinq mois les observateurs des affaires en haleine.

C'est à la fin d'août 1996 que Couche-Tard lance une offre d'achat non sollicitée pour ravir Silcorp, un détaillant qui, à l'époque, est presque deux fois plus imposant que lui. Couche-Tard fait miroiter 74 millions de dollars à l'entreprise, incluant la prise en charge de sa dette. L'offre est décrite comme définitive.

À la mi-septembre, le propriétaire des dépanneurs Mac's et Mike's Mart rejette cette offre, la qualifiant d'insuffisante et d'opportuniste. Une semaine plus tard, Couche-Tard prolonge son offre d'achat sans la bonifier pour autant.

Mais Silcorp n'entend pas se laisser avaler sans livrer bataille. Fin septembre, ce détaillant coupe l'herbe sous le pied de Couche-Tard en annonçant une fusion avec la laiterie Becker Milk Co., qui exploite 530 dépanneurs en Ontario, surtout connus sous le nom de Daisy Mart. Cette transaction de plus de 35 millions de dollars se concrétisera en octobre.

Qu'à cela ne tienne, le président de Couche-Tard, Alain Bouchard, envisage de bonifier son offre pour le duo Silcorp-Becker à plus de 100 millions de dollars, à la condition de pouvoir examiner les livres de Silcorp et sa transaction avec Becker. Entre-temps, Couche-Tard prolonge encore son offre publique d'achat.

Or, Silcorp a plus d'un tour dans son sac pour repousser Couche-Tard. Après avoir conclu sa fusion avec Becker, Silcorp se déleste de sa cinquantaine de dépanneurs au Michigan. L'entreprise de Scarborough compte se servir du produit de cette vente pour racheter des actions. C'est la goutte de trop.

Fin janvier 1997, Alain Bouchard jette l'éponge. Il est déçu de la vente des dépanneurs américains. Et il est incapable de trouver un acquéreur pour la laiterie Becker. Or, cet ancien gérant de Perrette, qui a été témoin de la ruine de cette laiterie, ne veut rien savoir d'exploiter une division dans l'agroalimentaire.

À défaut de pouvoir acheter Silcorp, Couche-Tard se rabat au printemps sur le réseau Provi-Soir, propriété de Provigo.

Il faut attendre deux ans avant que l'affaire ne rebondisse. Mars 1999, coup de théâtre. Derrière des portes closes, Couche-Tard a réussi à séduire le conseil d'administration de Silcorp. Mais comme cette entreprise ontarienne a fait fructifier Becker, Couche-Tard doit cette fois-ci y mettre le prix.

Au final, Couche-Tard allongera l'équivalent de 23$ par action, soit 220 millions de dollars en espèces et en actions.

Si on récapitule ce feuilleton, Couche-Tard a donc mis trois ans avant de mettre la main sur Silcorp, dont cinq mois marqués par une rivalité intense. Et le détaillant québécois a fini par allonger le double de ce qu'il comptait offrir à l'origine pour deux entreprises qui se sont intégrées avec succès.

Remarquez bien, le passé n'est aucunement garant de l'avenir.

Un analyste de la Financière Banque Nationale croit que le géant 7-Eleven ou la société d'investissement privé Sun Capital Partners pourrait surenchérir. En revanche, deux autres analystes (Desjardins, UBS) ne voient aucun prétendant pour Casey's sur leur radar.

Quoi qu'il en soit, Alain Bouchard semble prendre ses désirs pour la réalité lorsqu'il évoque une entente définitive négociée avec Casey's dans un délai de deux ou trois semaines.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca

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