Le ciel économique se dégage aux États-Unis sous l'effet des bons vents de la reprise mondiale. Mais un gros nuage subsiste au-dessus des travailleurs, qui attendent toujours l'embellie. Un membre de l'ex-gouvernement de Bill Clinton est inquiet.

Les commandes affluent et les usines s'activent (indice ISM de février); les profits des grandes entreprises gonflent à vue d'oeil; le rebond de Wall Street renfloue les portefeuilles...

Il n'y a pas de doutes, les signes d'embellie se multiplient aux États-Unis. Il reste cependant un grand problème: l'emploi.

À court terme, le dernier sondage de la firme Robert Half International (RHI) est peu encourageant à ce sujet: seulement 10% des patrons américains prévoient augmenter leurs effectifs au deuxième trimestre, contre 82% qui ne prévoient pas d'embaucher. C'est faible pour une économie dite en mode «reprise».

De plus, un ex-membre influent du gouvernement américain n'est pas du tout rassuré par les derniers indicateurs économiques.

Ancien secrétaire du Travail sous le président Bill Clinton, Robert Reich est même inquiet: «Est-ce que l'économie américaine peut se redresser si seulement ses multinationales, Wall Street et les nantis se portent mieux, alors que les PME et les Américains moyens ou démunis en arrachent? demande-t-il. La réponse courte est non.»

Deux vitesses

Dans une lettre ouverte diffusée la semaine dernière, M. Reich - aujourd'hui auteur et professeur d'université - résume ainsi ce qui fait défaut avec la première économie mondiale.

«Les profits des entreprises du S&P 500 (l'indice repère de la Bourse de New York) ont triplé au quatrième trimestre, mais (...) une bonne part de leurs revenus proviennent des marchés en forte croissance, comme l'Inde, la Chine et le Brésil. Entre-temps, on continue de sabrer les emplois et les coûts à la maison.»

Le géant de l'aluminium Alcoa, à titre d'exemple, détenait 1,5 milliard US de liquidités à la fin de 2009, soit deux fois plus qu'un an plus tôt. Tout ça serait «merveilleux», ironise M. Reich, si Alcoa n'avait pas réussi ce tour de force - en pleine récession - en réduisant ses effectifs de 32% et ses investissements en capital de 43%.

L'ex-politicien parle du «mirage» américain. Ainsi, les sociétés du S&P 500 ont en tout 932 milliards US de liquidités en poche. Mais ces entreprises utilisent surtout leur argent pour acquérir des concurrents ou pour racheter leurs actions, dit-il.

Le consommateur ordinaire, lui, fait toujours face à un taux de chômage élevé (près de 10%) et à une montagne de dettes. Chaque Américain a en moyenne pour 43 874$US d'emprunts à son bilan, soit 122% de son revenu annuel net. Or, selon les experts, un taux acceptable serait plus près de 100%, et ce, dans des conditions économiques normales, rappelle M. Reich.

Quant à la baisse de 1,8% du taux d'endettement des ménages observée en 2009, cette embellie est trompeuse, rétorque M. Reich. Car des milliers d'Américains ont renoncé à rembourser leurs emprunts, hypothécaires et autres, améliorant ainsi artificiellement le bilan global des consommateurs.

D'ailleurs, un fabricant chinois de biens divers, qui fournit des détaillants comme Wal-Mart, a brossé un portrait similaire, jeudi, en qualifiant son principal marché d'«anémique». Li & Fung Ltd, qui réalise les deux tiers de ses ventes aux États-Unis, estime que les «Américains n'ont toujours pas retrouvé un sentiment de richesse» malgré des signes encourageants.

Les PME

Pour leur part, les PME ont toujours du mal à se financer auprès des banques, disent des sondages. «C'est un problème, car les entreprises de moins de 100 employés ont créé près de la moitié des emplois lors des deux dernières reprises économiques», rappelle M. Reich.

Et le regain boursier? Cela a peu d'effet, insiste-t-il, car il profite d'abord aux plus fortunés - soit la tranche la plus riche représentant 10% de la population. Or, ce groupe ne génère que 40% de la consommation. «Une reprise durable ne peut reposer sur 10% de la population», insiste M. Reich.

Alors oui, la crise financière est terminée et l'orage est passé. Mais la plupart des Américains attendent toujours le beau temps. Ils ont besoin d'emplois, et vite.

On devrait apprendre vendredi que l'économie américaine a créé environ 190 000 emplois en mars - le plus fort gain en trois ans, selon les experts. Une bonne nouvelle, enfin. Mais ça reste encore peu pour un pays qui en a perdu 8,4 millions depuis trois ans.

Jusqu'ici, l'économie a survécu grâce aux plans d'aide de Washington et aux bas taux d'intérêt. «Mais qu'arrivera-t-il quand l'aide disparaîtra et la Réserve fédérale haussera les taux?» demande M. Reich. Cette question, toujours sans réponse, surplombe les États-Unis comme un gros nuage gris, dit-il.