Il y a quelques semaines, sans tambour ni trompette, les Européens ont pris une décision qui aura un impact majeur sur une des plaies les plus répugnantes qui affligent la planète: la corruption.

En gros, la décision des ministres des 27 pays membres de l'Union européenne vise à ajouter une clause anti-corruption au Programme de Stockholm.

Cela mérite une courte explication.

Le Programme de Stockholm a été signé l'été dernier. Il ne faut pas le confondre avec la Convention, ou le Protocole de Stockholm, signé en 2001 et qui porte sur la pollution atmosphérique. Le Programme de Stockholm s'intéresse plutôt aux questions juridiques.

En 2004, la communauté européenne a accueilli 10 nouveaux membres, en majorité des pays issus de l'implosion de l'empire soviétique. Deux autres, la Bulgarie et la Roumanie, ont été admis en 2007.

Or, chez les nouveaux venus, l'administration policière et judiciaire est loin de correspondre aux normes des membres plus anciens, comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. C'est précisément cela que veut corriger le Programme de Stockholm. Il s'agit de doter les 27 pays membres d'un cadre commun pour les questions de police, douanes, visas, migrations, coopération judiciaire. Ce vaste programme doit être implanté sur une période de cinq ans.

À l'origine, l'accord restait silencieux sur la délicate question de la corruption. C'est cette lacune qui a été corrigée peu avant les Fêtes, pendant que tous les projecteurs étaient braqués sur Copenhague.

Désormais, tous les pays de l'Union européenne devront adhérer à des normes sévères qui prévoient des inspections périodiques et simultanées. Rien n'échappera au contrôle des inspecteurs, pas plus les contrats de travaux publics que le financement des partis politiques. Les résultats des enquêtes seront rendus publics. De fortes pénalités sont prévues pour les pays réticents à coopérer.

Au premier coup d'oeil, on peut se demander pourquoi les Européens, relativement épargnés par la corruption, sentent le besoin de prendre des mesures aussi draconiennes. Après tout, le cancer de la corruption n'est-il pas cent fois plus grave en Afrique, en Amérique latine, en Russie, en Asie?

Il est vrai, si on regarde le classement annuel de Transparency International, un organisme indépendant qui fait autorité en la matière, que la plupart des pays européens sont d'excellents élèves.

Pour mesurer le niveau de corruption d'un pays, Transparency International a mis au point une échelle allant jusqu'à 10 points. Une note de 10 signifie un pays totalement exempt de corruption, ce qui est impossible. Une note de zéro représente un pays totalement corrompu, ce qui est également impossible. En bas de cinq points, on estime que la corruption constitue un problème grave. On considère que la méthodologie de l'organisme est précise à 90%.

Selon cette mesure, neuf des quinze pays les moins corrompus de la planète se trouvent en Europe (parmi les autres bons élèves, on retrouve le Canada, en huitième place). Très bonne note d'ensemble, donc, pour les Européens.

Ce dont on parle moins, ce sont les cancres. Pas moins de huit membres de l'Union européenne ont un score inférieur à cinq: Pologne, République tchèque, Lituanie, Lettonie, Slovaquie, Italie, Bulgarie et Roumanie. En Roumanie, par exemple, le niveau de corruption se compare à ceux du Ghana, de la Colombie ou du Pérou.

En exprimant sa ferme volonté de faire le ménage dans sa propre maison (avec l'accord des gouvernements concernés), l'Union européenne envoie un signal fort.

La corruption est une véritable calamité en ce sens qu'elle frappe surtout les pauvres des pays pauvres. Or, la communauté internationale est à peu près impuissante à corriger cela. Intervenir pour diminuer la corruption dans un pays, c'est carrément violer la souveraineté de ce pays. C'est d'autant plus difficile que les corrompus sont souvent ceux qui contrôlent les mécanismes de l'État: politiciens, hauts fonctionnaires, militaires, policiers, juges.

Dans ces conditions, les meilleurs moyens d'intervention demeurent sans doute la sensibilisation de l'opinion publique internationale (comme le fait si bien Transparency International avec son classement annuel), et le message de la tolérance zéro, assorti de lois, inspections et sanctions, comme on vient de le décider en Europe.

C'est en juin 2010 que le Programme de Stockholm commence à être appliqué. Ce sera certainement une des bonnes nouvelles de l'année.