En pleines négociations avec le gouvernement, les syndicats de la fonction publique essaient de répandre, par les temps qui courent, l'idée que la dette publique québécoise n'est pas aussi grave qu'on pourrait le croire.

Ça tombe mal. Quatre économistes de grande réputation (Pierre Fortin, Robert Gagné, Luc Godbout et Claude Montmarquette) viennent de déposer un rapport qui qualifie la dette d'exorbitante.

Cette semaine, dans les pages Forum de La Presse, l'économiste Louis Gill accuse les quatre auteurs d'agiter «l'épouvantail d'une catastrophe imminente». Selon lui, il s'agirait de camoufler «une volonté de demander aux moins nantis de contribuer davantage sans toucher aux privilèges existants», rien de moins.

Qu'en est-il? La dette est-elle ou un problème grave, comme le soutiennent une vaste majorité d'économistes, ou un faux épouvantail?

Voyons donc quel est le raisonnement de Louis Gill.

La dette du gouvernement québécois est de 125 milliards. Cela représente 41% du produit intérieur brut (PIB). Aux États-Unis, le chiffre équivalant est de 8500 milliards et représente 60% du PIB. Compte tenu de leur capacité de payer, les Québécois sont donc beaucoup moins endettés que les Américains, et l'écart a des chances de se creuser davantage au cours des prochaines années. En 2011, en effet, la dette québécoise atteindra 45% du PIB, contre 70% aux États-Unis.De quoi se plaint-on?

Le chiffre de 125 milliards mesure la dette directe, celle qui est inscrite dans les documents budgétaires et que le gouvernement doit financer sur les marchés. C'est aussi le chiffre qui sert pour les comparaisons interprovinciales.

Or, il est hautement téméraire de se limiter à ce chiffre, qui ne comprend pas la dette d'Hydro-Québec, ni les dettes des commissions scolaires, des municipalités, des hôpitaux, des universités, ni les engagements de l'État à l'égard de ses futurs retraités. Certes, le gouvernement n'a pas à financer directement toutes ces dettes. Ce n'est pas une raison pour faire comme si elles n'existent pas. Au total, si on tient compte de l'ensemble de ces engagements, la dette publique québécoise atteint 214 milliards. On vient de passer à 68% du PIB.

Mais la plus grosse erreur de M. Gill est de dresser sa comparaison avec les États-Unis comme si le Québec était un pays souverain.

Les Québécois font partie du Canada et, à ce titre, doivent assumer leur part de la dette fédérale de 535 milliards, ou 16 000 dollars par citoyen canadien. Pour le Québec, cela représente 123 milliards. On est rendus à 108% du PIB.

Pour être juste, il fait aussi tenir compte de la dette publique totale des États-Unis, qui dépasse largement le chiffre de 8500 milliards que nous venons de voir. Il faut aussi ajouter, comme on l'a fait dans le cas du Québec, les dettes des États, des municipalités, comtés, commissions scolaires et autres instances. Il y en a pour 1000 milliards. Les États américains sont beaucoup moins endettés que les provinces canadiennes. La Californie, par exemple, a une dette directe de 122 milliards, à peu près la même que le Québec (pour une population cinq fois supérieure). La Virginie, dont la population est comparable à celle du Québec, a une dette de 22 milliards. Il faut aussi ajouter les déficits actuariels des caisses de retraite et de la sécurité sociale, 2800 milliards. On en arrive ainsi à une dette publique totale de 12 300 milliards, ou 87% du PIB.

En tenant compte de l'endettement public total, les Québécois sont donc plus endettés que les Américains.

En évoquant le «lourd endettement» des États-Unis, M. Gill ajoute que «tous les pays industrialisés sont dans la même situation». Tous, vraiment? Nous avons vu que la dette directe américaine représentait 60% du PIB. Voici, selon le plus récent classement du CIA World Factbook (dont les chiffres recoupent dans les grandes lignes ceux de l'OCDE, mais avec l'avantage d'être plus récents), voici donc la liste des pays dont la dette directe est inférieure à ce pourcentage: Australie, Autriche, Espagne, Finlande, Irlande, Islande, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Taiwan.

Mais au-delà de ces comparaisons internationales, le fait est que l'ampleur de la dette publique québécoise n'a rien d'un faux épouvantail. Elle est, comme le soulignent avec justesse MM. Fortin, Gagné, Godbout et Montmarquette, exorbitante, et cela, c'est la réalité.