«Le commerce est le moteur de la croissance économique du Canada.» C'est écrit en toutes lettres, dans le brevissime passage que le nouveau petit guide canadien aux immigrants consacre à l'économie.

Le moins que l'on puisse dire, à la lumière des chiffres publiés hier par Statistique Canada, c'est que le moteur est calé.

En septembre, le Canada a enregistré un déficit commercial de 927 millions. Certes, ce chiffre représente une amélioration par rapport au mois d'août, alors que le déficit frisait les deux milliards. On pourrait même être tenté de voir, dans les résultats de septembre, un signal encourageant.

Ce serait une erreur. En réalité, les chiffres d'hier confirment que le Canada se dirige tout droit vers son premier déficit commercial en 34 ans. Peu de gens s'intéressent au commerce international, et il faut bien admettre que le sujet n'est guère sexy. C'est dommage: le Canada exporte le tiers de sa production. Des millions d'emplois, de ce côté-ci de la frontière, dépendent des exportations.

Or, dans ce dossier, l'année 2009 risque de passer à l'histoire comme une véritable annus horribilis. Au cours des neuf premiers mois de l'année, le Canada a déclaré six déficits contre seulement trois surplus. Cette situation, en soi, est anormale: traditionnellement, le Canada est pratiquement toujours en surplus. Les déficits mensuels étaient donc considérés comme des raretés. Plus maintenant. D'autre part, toujours depuis le début de l'année, l'importance des déficits écrase de loin celle des surplus, de sorte qu'après neuf mois, on observe un déficit de 4,6 milliards.

Pour mieux comprendre l'ampleur du désastre, il faut savoir que l'an dernier, pour la période correspondante, on enregistrait un surplus de 43 milliards. C'est donc, en gros, un revirement de 48 milliards.

Et ce n'est pas fini.

Les États-Unis sont, de loin, les premiers clients du Canada.

Or, depuis janvier dernier, les ventes canadiennes sur le marché américain se sont littéralement effondrées. Au cours de ces neuf mois, elles sont passées de 284 à 201 milliards, une chute de 29%. Autrement dit, en un an, les exportateurs canadiens ont perdu presque le tiers de leur chiffre d'affaires sur le marché américain.

Certes, les Canadiens aussi ont réduit leurs achats aux États-Unis, mais dans une proportion moindre: de 209 à 177 milliards.

Résultat: le plantureux surplus canadien à l'égard des États-Unis s'évapore rapidement: toujours pour les neuf premiers mois, il est passé de 74,8 milliards l'an dernier à 24,5 milliards cette année, une dégringolade de 67%. Avec tous les autres pays, le Canada accuse un déficit de 29,1 milliards (d'où le déficit net de 4,6 milliards dont nous venons de parler). Historiquement, le surplus avec les États-Unis suffisait amplement pour couvrir plusieurs fois le déficit avec le reste du monde. Ce n'est plus le cas.

Dans ces conditions, il est clair que le redémarrage du moteur est lourdement tributaire de ce qui va se passer aux États-Unis.

À cet égard, les choses s'annoncent plutôt mal.

Statistique Canada publie les résultats de son enquête mensuelle avec deux mois de décalage. C'est ainsi que nous avons eu hier, le 13 novembre, les chiffres de septembre.

Or, le dollar canadien a continué a s'apprécier en octobre.

En juillet, alors que les déficits commençaient dangereusement à s'accumuler, le huard s'échangeait à 86 cents américains. Le mois dernier, il valait en moyenne 95 cents, avec même un pic frisant les 98 cents. À chaque fois que le dollar canadien prend de la valeur, cela fait augmenter le prix des exportations, et donc diminuer les ventes.

Ce n'est qu'en décembre, lorsque seront publiés les résultats d'octobre, que nous pourrons mesurer l'impact de cette appréciation sur les exportations aux États-Unis.

Pour éviter de terminer l'année dans le rouge, les exportateurs canadiens ont donc trois mois pour combler un trou de 4,6 milliards, et il faut aller les chercher aux États-Unis. On vient de le voir, il ne faut pas trop compter sur octobre pour cela, ne serait-ce qu'à cause du taux de change. D'autre part, la morosité ambiante continue de dominer la vie économique américaine. Le chômage demeure élevé, les mises en chantier sont au point mort, l'indice de confiance des consommateurs ne décolle pas. Dès lors, on peut penser qu'il faudrait un revirement de situation aussi extraordinaire qu'imprévu, disons un miracle, pour que le vent tourne dans le bon sens.