Je ne suis pas un fan. Je couvre le Canadien et les sports depuis février 1975. J'ai eu beaucoup de plaisir à faire ce travail. J'ai côtoyé de grands athlètes, j'ai vécu des moments fabuleux, mais je ne suis pas un fan.

Il m'est arrivé de tisser des liens personnels avec certains athlètes ou dirigeants du sport, mais ça ne faisait pas de moi un fan. J'aime Guy Lafleur parce que c'est un individu droit et passionné. J'aime Patrice Brisebois parce que j'ai été témoin de ses efforts pour rendre à l'équipe qu'il aimait tant ce qu'il était capable de lui donner. Il était sincère. Même dans ses faiblesses. Mais je n'étais pas un fan. Je n'avais pas de peine quand ils perdaient un match.

Je regarde aller le Canadien depuis plusieurs années et je me désole pour les fans. J'estime que les partisans qui ont vécu les belles années de l'organisation mériteraient qu'on les respecte et qu'on fasse le nécessaire pour leur offrir une vraie bonne équipe.

Et je pense que les plus jeunes, qui aiment tellement «leurs» Glorieux et qui sont toujours prêts à croire la propagande de l'organisation, mériteraient encore plus qu'on prenne les bonnes décisions et qu'on leur donne l'occasion de fêter et de célébrer comme on l'a fait à Pittsburgh, à Detroit, au New Jersey, à Tampa Bay et ailleurs.

Je me dis que cette fidélité et tous ces dollars que des jeunes investissent dans leur passion devraient être récompensés. On pourrait au moins embaucher des gens qui les aiment, qui les respectent et qui ont l'intelligence et la personnalité de leur donner une équipe. Une vraie équipe.

Je ne suis pas un fan et je suis payé pour regarder les matchs du Canadien. Et bien honnêtement, les soirs de congé, je préfère faire autre chose que de m'écraser devant un écran de télé pour voir des gars jouer tout croche. Je le répète, couvrir le Canadien est un travail que je fais du mieux que je le peux. Mais ça reste un travail comme la couverture de l'hôtel de ville demeure un travail pour les chroniqueurs municipaux. Ils ne vont pas passer leurs soirées de congé dans la salle du conseil.

Avec les Glorieux, s'ils gagnent, je suis content pour la ville, pour les fans et pour les commerçants qui font de bonnes affaires. Et je suis content pour les joueurs que j'apprends à apprécier en discutant avec eux à l'occasion. S'ils perdent, je vérifie ce que ça change dans mon agenda pour les prochains jours et c'est tout.

Quand j'écris que les années de Bob Gainey à la direction générale du Canadien tournent au désastre, je ne le dis pas parce que j'aime Bob ou parce que je le déteste. Ça n'a rien à voir. Bob Gainey, je l'aime beaucoup. Mais quand je réfléchis à sa façon de diriger le Canadien, quand je vois les résultats épouvantables de ses décisions et les conséquences de ses négociations personnelles avec ses homologues et ses employés, j'en conclus que le Canadien s'en va directement vers une période encore plus moche que celle qu'on vient de connaître au cours des dix dernières années .

J'ai longuement commenté l'incapacité chronique de Gainey de dénicher un joueur capable d'aider l'équipe aux échéances de mars. Même pas capable de profiter des enchères pour obtenir une valeur intéressante pour les joueurs qu'il perd pour des pinottes.

Les transactions sont suicidaires. Pensez à Mike Ribeiro. Pensez à Michail Grabovski. Faudrait que le deuxième choix de 2010 soit miraculeux pour éviter une autre arnaque. De plus, Guy Carbonneau a été sacrifié le printemps dernier dans un moment soigneusement choisi par celui qui le remplaçait. Une série de matchs à domicile contre des équipes faibles. Gainey comme coach a été pitoyable et le Canadien s'est retrouvé dans les séries par la petite porte d'en arrière.

Les problèmes du Canadien sont largement recensés par mes confrères depuis plusieurs semaines. Certains choix au repêchage ont été fort mauvais. Mais surtout, le développement de ces jeunes semble avoir été très quelconque. Soit le repêchage de Trevor Timmins est déficient, soit le développement des jeunes sous la direction de Gainey est faible : dans les deux cas, le responsable est au septième étage du Centre Bell.

Je ne demande pas la tête de Bob Gainey, ce n'est pas de mon ressort. Mais j'estime que les fans et les passionnés du Canadien ont droit à ce que le président de l'organisation, Pierre Boivin, respecte sa parole de mars dernier. Il n'était plus question, assurait-il, que son directeur général jouisse d'une carte blanche.

Non seulement il fait encore à sa tête, mais il a trouvé le moyen de perdre 11 joueurs pendant l'été.

Autre point. Depuis que Gainey a pris le contrôle total et absolu de l'organisation, les joueurs québécois et canadiens de langue française ont été pratiquement éradiqués. Je trouve que c'est inadmissible. Ça n'a rien à voir avec un nationalisme outrancier ou borné, c'est tout juste une affaire de gros bon sens.

Le Canadien joue à Montréal, la plus grande ville francophone en Amérique. La Presse et les stations de radio et de télévision, qui consacrent beaucoup de moyens à la couverture de l'équipe, servent un marché francophone. Plus de 80% des Québécois parlent français. Et plus de 60% seulement le français.

Malgré la mondialisation et malgré l'internet, il reste une réalité écrasante. Notre clientèle, les Québécois, préfère suivre les activités de ses grandes vedettes dans ses médias. La Formule 1 est beaucoup plus populaire quand un Jacques Villeneuve y brille. Même chose pour le NASCAR ou l'Indy. Quand d'autres présidents d'entreprises se sont envolés dans l'espace, on ne les a pas suivis comme on l'a fait avec Guy Laliberté. Et Madonna a ses fans, mais la fille de Charlemagne, c'est quand même Céline Dion.

Et c'est normal, c'est juste sain. Les Espagnols capotent sur Alonzo et Nadal, les Allemands sur Schumacher. Et ces médias nationaux couvrent leurs sports avec un point de vue national. Comme on le fait au Québec.

Cependant, ça va encore plus loin avec le Canadien. Le Québec est une exception dans les deux Amériques. C'est une société francophone qui s'est donné un statut de nation. Ce que les années ont montré, semble-t-il, c'est que l'énergie de cette société semblait se transmettre à ses héros quand arrivait le temps des grandes batailles. On peut parler de Maurice Richard, de Guy Lafleur, de Guy Carbonneau, de Patrick Roy, de Vincent Damphousse, de tous ces grands athlètes qui étaient connectés avec les fans, avec leurs proches et avec leur milieu. Cette spécificité n'existe nulle part ailleurs en Amérique. Pourquoi ne pas continuer à s'en servir? Dans un univers ou la concurrence est féroce comme c'est le cas dans la Ligue nationale, peut-être que ce lien étroit a pu faire une petite différence dans le passé. Mais dans le cours d'une longue saison, dans l'émotion d'une série éliminatoire, toute petite différence devient importante. Je ne dis pas que c'est parole d'évangile, je dis que ça vaudrait au moins la peine d'y réfléchir.

Et de plus, le Canadien tire ses revenus de cette même société. Il n'est que normal qu'il puisse contribuer au succès de ses membres qui le méritent. C'est très bien ce qui arrive cette année avec Guy Boucher à Hamilton. Tout le monde est gagnant.

Mais cela dit, je le répète, c'est le point de vue de quelqu'un qui est payé pour couvrir le Canadien. Que le Canadien gagne ou perde, c'est La Presse qui compte vraiment. Mais tant qu'à perdre avec le melting pot actuel, aussi bien se rendre utile en contribuant au développement du hockey québécois. Tout d'un coup que ça serait un des éléments de la recette pour redevenir une équipe gagnante.

Si Bob Gainey reste en poste encore plusieurs années, c'est parfait en ce qui me concerne, ça ne changera rien à mon quotidien. Si le Canadien purge l'équipe de tous ses Québécois, je trouve ça insensé et dommage pour les fans, mais je vais écouter Mozart et Chostakovitch quand même. Et Elvis dans le char.

Mais je suis payé pour le dire et l'écrire et c'est ce que le bon sens me dit. Si Pierre Boivin et les frères Molson continuent à se fermer les yeux sur la tangente prise par leur équipe sous la direction de Bob Gainey, c'est le fan connaisseur et si amoureux qui va être pénalisé. C'est vous, les vrais passionnés. Gainey va garder tous les pouvoirs et le club va rester médiocre.

Eux autres vont quand même remplir leurs coffres avec le cash du monde.

Merci beaucoup de votre attention.