Une opinion largement répandue veut que la nationalisation de l'électricité a été réalisée en 1962 par le gouvernement de Jean Lesage.

Ce n'est pas tout à fait exact.

Le pionnier de la nationalistion de l'électricité, c'est Adélard Godbout. Dans les années 30, la production et la distribution d'électricité au Québec sont entre les mains d'une douzaine de sociétés contrôlées par des hommes d'affaires anglophones. Une des plus puissantes de ces sociétés, la Montreal Light, Heat and & Power, est cordialement détestée de la population, qui lui reprochet ses tarifs trop élevés. Encore plus que Eaton ou Morgan, la compagnie est devenue le symbole de l'opression des Canadiens-français par le grand capital anglais.

À l'époque, Godbout est ministre dans le Cabinet d'Alexandre Taschereau, et ne cache pas son hostilité envers les compagnies privées d'électricité. En 1936, lorsque Taschereau démissionne à la suite du scandale du comité des comptes publics, Godbout le remplace, mais il est battu deux mois plus tard par Maurice Duplessis. Aux élections de 1939, il bat Duplessis à son tour et dès lors, multiplie les attaques contre la Montreal Light. Il ne mâche pas ses mots : pour lui, la compagnie n'est rien d'autre qu'une .

En avril 1944, Godbout fait adopter une loi qui nationalise la Montreal Light. C'est en quelque sorte l'acte de naissance d'Hydro-Québec.

La nationalisation avait plusieurs objectifs : remettre aux Québécois francophones le contrôle d'une partie de leur principale richesse naturelle, développer l'électrification rurale, mettre fin aux tarifs excessifs. En ce sens, on peut considérer cette première nationalisation comme un geste social.

Lorsque le gouvernement Lesage décide de nationaliser les onze autres compagnies restantes, l'objectif est différent. Le slogan dit tout.

Sur le plan financier, le gouvernement fait une affaire absolument extraordinaire.

En 1962, le ministre des Ressources naturelles, René Lévesque, paie 640 millions aux actionnaires des compagnies d'électricité. Si on tient compte de l'inflation, ce montant équivaut aujourd'hui à 4,6 milliards. Or, cette année seulement, Hydro remettra un dividende de 2,9 milliards à son unique actionnaire, le gouvernement du Québec. C'est deux fois plus que le dividende de Loto-Québec, quatre fois plus que le dividende de la Société des alcools. Entre 2006 et 2009, le gouvernement a touché 12,1 milliards en dividendes d'Hydro. Pas mal pur une compagnie payée le tiers de ce montant en dollars d'aujourd'hui. Parlez-moi d'une machine à piastres!

Le plus fort, c'est que la société d'État peut verser ces fabuleux dividendes tout en pratiquant une des politiques tarifaires les plus généreuses en Amérique du Nord.

C'était dans les objectifs de la première nationalisation en 1944, cela n'a pas changé en 1962, et le cap est toujours le même aujourd'hui. Puisque l'hydro-électricité est une ressource qui appartient à tous les Québécois, qu'elle est pratiquement inépuisable et qu'elle ne coûte pas cher à produire, pourquoi ne pas en faire profiter tout le monde? C'est ainsi que, depuis 65 ans, les Québécois achètent leur électricité à rabais.

Prenons un ménage montréalais dont la consommation d'électricité représente 2000 $ par année. Pour une consommation identique, le même ménage paiera 3280 $ à Toronto, 3940 $ à Edmonton 4340 $ à Charlottetown. Aux États-Unis, les prix atteignent 4380 $ à Houston, 5300 $ à San Francisco, 5620 $ à Boston et 6240 $ à New York.

Certes, ce n'est pas la même chose partout : à Vancouver, les prix sont à peine plus élevés quà Montréal; à Winnipeg et Seattle, il sont même légèrement inférieurs. Mais ce sont là des exceptions; dans l'ensemble, les prix québécois figurent de loin parmi les plus bas en Amérique du Nord.

Or, la situation des finances publiques québécoises n'est pas particulièrement brillante. Contrairement à ce qui s'est passé à Ottawa, aucun gouvernement québécois, péquistes et libéraux confondus, ne s'est sérieusement intéressé au problème de la dette.

Si on tient compte, en plus de la dette directe, des caisses de retraite, des dettes des municipalités, universités, hôpitaux, sociétés d'État, la dette du gouvernement québécois dépasse les 213 milliards. Pendant que vous lirez cette chronique, elle aura augmenté de 52 000 $.

C'est beaucoup pour une société de 7,7 millions d'habitants, et qui figure dans le peloton de queue parmi les moins riches en Amérique du Nord.

On peut difficilement s'attaquer à la dette en demandant un effort supplémentaire aux contribuables, qui sont déjà abominablement surtaxés (du moins, les 58 % qui paient des impôts).

Depuis quelques temps, plusieurs économistes suggèrent qu'Hydro revoie ses tarifs en fonction des prix du marché. Ce n'est pas une mesure populaire. Les sondages montrent que les Québécois tiennent à leurs bas tarifs. À long terme, c'est se tirer dans le pied.

Hydro est une machine à piastres, oui, mais le gouvernement est loin d'utiliser son plein potentiel. Dans le cas du ménage que nous avons vu plus haut, une hausse graduelle qui amenerait les tarifs, disons, à 3000 $ par année au bout de cinq ans, coûterait 4 $ par semaine la première année, 8 $ la deuxième et ainsi de suite jusqu'à 19 $ dans cinq ans. Bien entendu, un crédit d'impôt peut être mis sur pied pour les plus pauvres.

Le sacrifice ne semble pas si énorme; en revanche, il permettrait à Hydro de verser environ 1,5 milliard de plus par année au gouvernement, tout en freinant une conséquence déplorable de la politique des bas tarifs : la surconsommation et le gaspillage.