Pour une fraude de 100 millions, pour dédommager 9200 victimes, dont certaines sont ruinées, 13 ans de pénitencier ce n'est pas énorme.

Mais demander à une sentence de réparer un crime, c'est demander l'impossible. Qu'il s'agisse d'une fraude, d'un viol, d'un meurtre ou d'une négligence criminelle, la justice criminelle ne peut jamais réparer.

Elle peut dénoncer, punir, tenter de réformer, espérer réhabiliter, dire la réprobation. Mais un peu comme cette sculpture en forme de bloc dissocié, devant le palais de justice de Montréal, aucune sentence de juge ne peut remettre ensemble les morceaux de vie cassés par un crime.

Alors, à moins de changer de système pénal et d'adopter le modèle punitif américain, on peut difficilement considérer la peine infligée hier à Vincent Lacroix comme clémente. Le juge Richard Wagner l'a déclarée consécutive aux cinq ans (moins un jour) prononcés dans le dossier pénal, et qui courent depuis 2008. La peine globale de 18 ans prend donc fin le 28 janvier 2026.

Comme il s'agit de sa deuxième peine de pénitencier, en principe Lacroix ne serait pas admissible à l'examen expéditif, qui permet aux personnes condamnées pour un crime non violent d'obtenir une libération hâtive au sixième de leur peine. Il lui faudra attendre d'avoir purgé au moins six ans, en comptant ce qu'il a déjà purgé après sa condamnation – non, ça ne compte pas double.

Toujours plus!

Le juge Wagner a pris la peine d'expliquer qu'on n'impose pas, au Canada, des peines de 250 ans, comme on en voit aux États-Unis. Autrement dit, si Lacroix a été déclaré coupable de 200 chefs pour cette fraude qui a duré cinq ans, le juge n'additionnera pas les peines pour chacun des chefs. Il s'agit d'un seul vaste crime en continu, même s'il recouvre plusieurs actes criminels (complot, faux, blanchiment, fraude). La peine maximale pour la fraude est de 14 ans.

Le juge observe en passant que jusqu'en 2004, la peine maximale était de 10 ans seulement. À la faveur des scandales financiers, et en particulier de l'affaire Bre-X, la plus grosse fraude boursière de l'histoire, le Parlement avait augmenté ce maximum, parlant spécifiquement des fraudes de plus d'un million touchant un grand nombre de victimes.

On peut bien augmenter encore le maximum, mais que fera-t-on pour les agressions sexuelles (10 ans)? Le blanchiment d'argent (10 ans) ? Encore faut-il qu'il y ait une cohérence dans l'ensemble des peines, pas seulement des maximums ajustables vers le haut à la faveur des scandales du moment.

C'est ce qu'ont fait les Américains : chaque problème de criminalité a appelé une augmentation des peines à la pièce, avec le résultat qu'ils ont le taux d'incarcération le plus élevé au monde. Plus de 10 fois le nôtre.

Il y avait l'an dernier 74 détenus par 100 000 habitants au Canada. Aux États-Unis, c'est... 762 détenus par 100 000 habitants (1). Le taux de criminalité n'y a pas baissé plus vite qu'ici. Et le système carcéral américain est prohibitif et commence à craquer de partout.

Cet été, un juge californien a ordonné la libération de 40 000 prisonniers, estimant les conditions sanitaires dans les prisons surpeuplées inacceptables au point de violer les droits constitutionnels des détenus.

De toute manière, ce n'est pas la sévérité des peines qui freine les criminels (demandez à Bernard Madoff), c'est la crainte d'être arrêté. Ce qu'il faut pour contrer les Lacroix, ce n'est pas tant des peines plus lourdes, mais des contrôles plus sérieux. À ce chapitre, le juge Wagner observe que cette affaire a « souligné la faiblesse des contrôles ». Une phrase que l'AMF n'aimera pas.

Comme l'AMF n'aimera pas se faire reprocher sa précipitation à déposer des accusations pénales. Elle aurait dû suivre le criminel, pas le précéder. Cela a créé une « confusion des genres » et un débat inutile (une peine de 12 ans, ramenée à huit, puis à cinq ans).

Le maximum étant de 14 ans, pourquoi Lacroix ne le lui impose-t-il pas? Surtout parce que Lacroix s'est avoué coupable avant même le procès.

Mais aussi, et c'est dit comme en glissant : le juge considère «l'intransigeance » de l'AMF, qui a insisté pour défendre la peine de 12 ans infligée à Lacroix dans le procès pénal, une peine de type criminel. Sans ce débat, Lacroix dit qu'il aurait plaidé coupable plus rapidement.

Il reste que c'est une des peines les plus sévères jamais infligées dans le domaine au Canada et sûrement un record québécois.

À ceux qui espéraient davantage, le juge rappelle qu'il n'est pas là pour «réjouir la galerie» mais pour juger un individu selon les principes reconnus.

Le juge Wagner se permet d'ailleurs de souhaiter tout haut que « notre culture juridique et judiciaire n'emprunte jamais cette voie d'exception» à l'américaine.

Il a bien raison.

1. Statistique Canada,

décembre 2008.