Si vous aviez Calin Rovinescu devant vous, je soupçonne que vous auriez des tonnes de questions à lui poser. Le service d'Air Canada, les liaisons au départ de Montréal, le prix (obscur) des billets, la survie du transporteur, la qualité du français en vol: ce ne sont pas les sujets qui manquent.

Mais en rencontre avec lui, hier, il n'y en avait qu'une qui me brûlait les lèvres. Pourquoi diable a-t-il accepté de présider Air Canada au pied levé?

Ce n'est pas comme si l'homme qui a copiloté la restructuration du transporteur en 2003 et en 2004 ne savait pas dans quel avion il montait. Et cela, même si la situation financière d'Air Canada au printemps était «plus dramatique qu'il ne l'avait imaginée».

Ce n'est pas comme s'il ne connaissait pas cette industrie qui souffre de surcapacité chronique. N'importe quel bozo peut affréter des avions, décoller en affaires et casser les prix des billets sur les meilleures liaisons.

Accro à l'adrénaline de la vie au bord du précipice d'Air Canada, des palpitations qu'ils ne retrouvaient pas, à l'évidence, chez Genuity, la banque d'affaires que cet avocat a cofondée en 2004, Calin Rovinescu n'a pourtant pas hésité.

«C'est un défi que je ne pouvais pas laisser passer», dit-il.

Calin Rovinescu concède qu'il aime le trouble, comme on dit; seule la créativité permet de résoudre les problèmes qui semblent insolubles. Ce Montréalais de 54 ans - c'était son anniversaire hier - juge même qu'il a décroché «le poste le plus intéressant» de sa vie.

Avant même qu'il ne s'assoit, le 1er avril, dans le fauteuil encore chaud qu'occupait Montie Brewer, la réputation de Calin Rovinescu l'avait précédé chez Air Canada, où il a travaillé de 2000 à 2004. Tous se souvenaient du bras droit de Robert Milton, qui était perçu - à tort ou à raison - comme l'exécuteur des basses oeuvres lors de la restructuration de 18 mois.

D'aucuns en ont conclu - moi la première - qu'Air Canada ferait encore appel à la protection des tribunaux pour se délester de ses dettes.

Le transporteur faisait face à une crise de liquidité et était incapable de faire face à ses obligations, dont le déficit de solvabilité de près de 3 milliards de dollars de ses régimes de retraite. Mais Calin Rovinescu a jugé l'opération trop risquée. Compte tenu de la frilosité des marchés au printemps, il doutait que le transporteur montréalais puisse obtenir un financement intérimaire. Bref, Air Canada risquait d'y laisser sa peau.

À la surprise générale, Calin Rovinescu a négocié le gel des salaires des employés de cinq syndicats, obtenu un moratoire sur la capitalisation des régimes de retraite et négocié un financement (onéreux) de 1 milliard de dollars. Mais, pour y parvenir, ce dirigeant a changé son approche, notamment en faisant le point sur la situation du transporteur lors d'entrevues diffusées sur YouTube.

«Une chose que j'ai changée, c'est la communication. Moi, je ne suis pas là pour gagner des concours de popularité. Je vais faire les choses que je considère comme nécessaires. Mais, il faut que les gens comprennent très bien les gestes que je vais poser.»

Six mois après son arrivée, Air Canada a survécu à cette crise. «Mais nous ne sommes pas sortis du bois», dit Calin Rovinescu.

Et comment. L'IATA, l'association internationale du transport aérien, s'attend à ce que l'industrie perde 11 milliards US cette année. Les transporteurs souffrent encore des prix du carburant élevés et de la chute de la demande. Au mieux, l'industrie renouera avec la rentabilité en 2011, prévoit son directeur général, Giovanni Bisignani.

Calin Rovinescu entrevoit des profits dans le même horizon, mais refuse de s'y commettre. Encore faudra-t-il qu'Air Canada dégage 500 millions de dollars par année en économies (400 millions) et en revenus supplémentaires (100 millions). Un programme ambitieux pour un transporteur qui a déjà coupé dans le gras.

Comment Air Canada est-il revenu là? Nombreux sont ceux qui jugent que le holding qui le chapeaute, Gestion ACE Aviation, a menacé la pérennité du transporteur en le morcelant pour des profits rapides.

Comme président d'Air Canada, Calin Rovinescu n'aimerait-il pas pouvoir compter sur les revenus plus stables de ses ex-filiales Aéroplan (programme de fidélisation), Jazz Air (transporteur régional) et Aveos (services techniques)? Calin Rovinescu refuse de porter un jugement en bloc sur ces délestages. Selon lui, il faut juger au cas par cas.

«Aéroplan a été un énorme succès. Quant aux deux autres, le jury délibère encore... L'argent récolté a permis à Air Canada de renouveler sa flotte et d'acheter des systèmes de divertissement. Au final, c'est positif.»

Air Canada ne reviendra pas à la rentabilité en rétrécissant comme peau de chagrin. Le transporteur devra accroître ses revenus, surtout à l'international. Après avoir été dépendante des voyageurs d'affaires, Air Canada courtisera les vacanciers et les familles éclatées avec de nouveaux vols directs.

Mais, Air Canada ne connaîtra pas le succès tant qu'il ne changera pas son service et son image, le talon d'Achille de ce transporteur que les Canadiens aiment détester. Le grand défi de Calin Rovinescu, il est là.

Le transporteur s'est déjà attaqué à certaines soucres d'irritation. Par exemple, les voyageurs qui veulent discuter avec un agent n'ont plus à débourser 25$. «Payer pour parler à quelqu'un dans un centre d'appel, je n'ai jamais été d'accord avec cela», dit le président d'Air Canada.

On est fait pour s'entendre.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca