De toutes les nouvelles qui ont marqué l'actualité économique cette semaine, ce sont les profits spectaculaires des banques américaines qui ont fait couler le plus d'encre. Hier, c'était au tour de la banque JPMorgan Chase de révéler des résultats qui surpassent, et de loin, les attentes des analystes financiers. Son bénéfice net, de 2,7 milliards US au deuxième trimestre, est de 36% supérieur à ce qu'il était à pareille période l'an dernier.

Mais JPMorgan Chase n'a pas réussi à éclipser Goldman Sachs, qui a créé une commotion mardi en dévoilant les profits les plus élevés de ses 140 années d'histoire. Son bénéfice net de 3,4 milliards US était presque deux fois supérieur aux prévisions, qui étaient pourtant jugées optimistes.

 

Comment les banques peuvent-elles rapporter des profits aussi formidables, alors que le pays traverse une récession profonde dont il ne se remettra pas complètement avant cinq ou six années, selon la Réserve fédérale des États-Unis?

On aura compris que ce ne sont pas les consommateurs exsangues ni même les entreprises qui sont à l'origine de cette renaissance. La négociation d'actions, de titres à revenu fixe et de devises, les financements d'entreprises et les refinancements hypothécaires ont propulsé les revenus. Et si la tarte s'est agrandie, moins de firmes se la partagent depuis la faillite de Lehman Brothers et les ventes de Bear Stearns et de Merrill Lynch.

Bref, après une crise financière qui a presque paralysé les activités, Wall Street a retrouvé son pain et son beurre. Et avec cela, ses vieilles habitudes en rémunération...

Goldman Sachs vient de mettre de côté la faramineuse somme de 11,4 milliards de dollars pour payer le salaire, les primes et les avantages sociaux de ses employés au cours de la première moitié de l'année. Comme son effectif se dénombre à quelque 29 400 employés, incluant les consultants et les employés à temps partiel, cela revient à plus de 385 000$ par employé. Pour six mois de travail, au risque de se répéter!

Cette somme est de 33% supérieure à celle versée lors de la première moitié de 2008, l'annus horribilis des banquiers qui ont été forcés de serrer de quelques crans leur ceinture. En fait, la rémunération chez Goldman Sachs est en voie de revenir à ce qu'elle était en 2007, l'année de tous les excès.

Alors que les contribuables n'ont pas fini de payer le sauvetage de Wall Street et que le chômage se dirige allègrement vers les 10%, pareille munificence frise l'insolence.

Certes, Goldman Sachs n'a plus de comptes à rendre. Cette firme a remboursé en totalité, et avec un dividende de 426 millions, les fonds d'urgence de 10 milliards de dollars que Washington lui avait prêtés lors des jours les plus noirs de la crise. Mais la cinquième banque des États-Unis selon la taille de l'actif aurait dû faire montre d'une certaine retenue.

En effet, Goldman Sachs a profité de l'aide de l'Oncle Sam à plus d'un égard. Elle a récupéré jusqu'au dernier cent sa mise chez l'assureur American International Group, de 13 milliards de dollars, grâce au sauvetage très coûteux des contribuables américains.

Et puis, sa transformation d'une banque d'affaires en un groupe bancaire traditionnel encadré par la Réserve fédérale lui a assuré le soutien de la société fédérale de l'assurance dépôt. Grâce à ce soutien, Goldman Sachs a accès à des milliards de dollars à des taux d'intérêt très bas, ce que certains assimilent à une subvention.

Par ailleurs, Goldman Sachs a pris des risques considérables dans ses activités, notamment dans la négociation d'actions. La «valeur risquée», qui mesure la perte à laquelle la firme s'expose en une seule journée, s'est élevée à 245 millions au deuxième trimestre, rapporte l'agence Bloomberg. Cette mesure est en progression constante depuis deux ans. En mai 2007, à titre de comparaison, la valeur risquée était de 127 millions de dollars.

Goldman Sachs prend-elle des risques inconsidérés? Et est-ce que les primes généreuses incitent certains négociateurs à se conduire de façon téméraire? Bref, est-on en train de reproduire, sur d'autres instruments financiers, les comportements qui ont donné naissance à cette crise?

Pis, en rémunérant à l'excès, toutes les firmes concurrentes se sentiront contraintes de lui emboîter le pas, pour ne pas perdre leurs meilleurs «talents». Bref, la table est mise pour une nouvelle spirale inflationniste. Était-ce nécessaire?

Que Wall Street retrouve la santé, on ne peut que s'en réjouir. Le système financier, c'est le coeur qui fait battre l'économie. Que les meilleures firmes et que les meilleurs professionnels soient récompensés, tant mieux. La prime est l'un des incitatifs les plus puissants au dépassement.

Mais que l'on dénature ces incitatifs avec des récompenses qui n'ont plus aucune commune mesure avec la valeur du travail d'une personne, alors que l'Amérique tout entière fait encore les frais des excès de Wall Street - tout comme de Main Street, d'ailleurs -, c'est faire preuve d'indécence.

sophie.cousineau@lapresse.ca