Une devise trop forte qui étrangle les commerçants et les exportateurs. Des banques qui ne prêtent pas... La zone euro peut-elle trouver une issue à la crise?

La force de l'euro (à 1,62$ CAN environ) fait maugréer beaucoup de Québécois qui s'envolent vers l'Europe pour les vacances estivales. Mais la devise européenne suscite encore plus de mécontentement parmi les détaillants slovaques et irlandais ces jours-ci.

Six mois après l'adhésion de la Slovaquie à l'euro, le gouvernement enquête déjà sur les raisons qui incitent des milliers de citoyens du pays à faire leurs emplettes chez les voisins, en Hongrie. Or, on connaît déjà la réponse.

La poussée de 15% de l'euro contre le forint hongrois, depuis le début de 2009, incite les Slovaques à acheter de la nourriture, des frigos et même des voitures moins chers en Hongrie. Un exode douloureux, qui a fait chuter de 9,2% les ventes de détail slovaques en avril.

L'euro trop cher

Les médias européens parlent aussi de la grogne montante en Slovénie, le seul autre pays d'Europe de l'Est, outre la Slovaquie, qui a adopté l'euro. Le commerce de détail dans ce pays a plongé de 13,4% en mai alors que les détaillants blâment surtout l'euro, encore une fois.

Même phénomène en Irlande, dont les citoyens se rendent chaque jour en Irlande du Nord pour profiter des aubaines découlant de la faiblesse de la livre sterling.

L'an dernier, le nombre d'Irlandais visitant les «cousins» britanniques, au nord de l'île celtique, a bondi de 26%, selon l'office de tourisme. Une vraie gifle pour les commerçants, au sud, dont les affaires ont rétréci de 16% au premier trimestre.

Pour équilibrer les forces, le détaillant britannique Marks&Spencer a dû réduire de 12%, il y a 10 jours, le prix des meubles et des appareils ménagers vendus en Irlande. Le mois dernier, la chaîne de supermarchés Tesco abaissait de 22% ses prix dans 11 magasins irlandais pour soutenir ses détaillants exaspérés.

Trichet ne bouge pas

Malgré leur cri d'alarme, les commerçants exaspérés ont obtenu peu d'aide de la Banque centrale européenne (BCE), qui a décidé jeudi de garder inchangé son taux directeur à 1%.

Une baisse des taux d'intérêt, en temps normal, affaiblit une devise en rendant les investissements locaux moins attrayants. Toutefois, le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, n'a pas bronché, qualifiant d'«adéquat» le niveau actuel des taux.

Mais comparé aux banques centrales américaine ou britannique, dont le principal taux est près de zéro et qui ont imprimé en masse de la monnaie pour lubrifier le système bancaire, «la BCE continue d'être en retard dans son soutien» à l'économie, déplore la firme Capital Economics, de Londres.

La zone euro, qui s'enfonce dans une récession d'environ 5% cette année, n'est même pas en voie de convalescence. Les derniers indicateurs de confiance montrent une timide embellie, mais peu convaincante.

Le crédit en panne

Or, la BCE et plusieurs cambistes jugent qu'une baisse de taux aurait peu d'impact sur l'euro, dont la vigueur est surtout la conséquence du repli des autres devises.

Le problème est en fait plus profond. Car les banques européennes demeurent très frileuses quand vient le temps de prêter aux consommateurs et aux entreprises.

En effet, les conditions du crédit se dégradent encore outre-Atlantique. La croissance des prêts au secteur privé a nettement ralenti, en mai, affichant une hausse de 1,8% sur un an contre "2,3% en avril, selon la BCE.

Les chiffres ont de quoi inquiéter, car ils «montrent qu'il n'y a toujours pas de détente des conditions de crédit très dures» en Europe, affirme la firme Global Insight dans une étude. L'économie, donc, étouffe.

Le ralentissement du crédit s'explique aussi par le fait que les entreprises ont gelé leurs investissements face à des exportations en baisse.

Bref, la crise est complexe et l'Europe s'enfonce dans un cul-de-sac. C'est pourquoi M. Trichet, au lieu d'abaisser inutilement les taux, a opté pour une autre solution en inondant le marché de liquidités la semaine dernière.

La BCE a accordé un record de 442 milliards (690 milliards CAN) de prêts aux banques européennes sur une durée d'un an (à 1%). Le but: abaisser le coût du crédit et stimuler l'investissement et la consommation.

Cette opération est ambitieuse mais elle arrive un peu tard au goût de certains. Car on ne saura que dans un mois ou deux si la stratégie est une réussite et si les consommateurs ont enfin plus d'argent à dépenser. Entre-temps, les commerçants irlandais et slovaques devront regarder leurs clients filer vers la frontière.