Au premier coup d'oeil, les comptes économiques publiés hier par l'Institut de la statistique du Québec sont absolument dramatiques.

En rythme annualisé, l'économie québécoise accuse une contraction de 4,8% pendant les trois premiers mois de l'année. Ce chiffre est exprimé en termes réels, c'est-à-dire qu'il est ajusté en fonction des prix à la consommation. La dégringolade est effectivement de taille: c'est le pire recul trimestriel en 18 ans!

 

Faire un bref tour d'horizon des comptes économiques québécois, c'est un peu comme se promener sur un champ de bataille dévasté. Voyons plutôt:

> Les travailleurs québécois, collectivement, ont vu leur rémunération diminuer de 0,6% en trois mois. Le chiffre peut sembler petit. En réalité, ces quelques dixièmes de point représentent 250 millions de dollars de moins dans leurs poches (ou un milliard en rythme annuel). De toute façon, peu importe son ampleur, une baisse de la rémunération des salariés est toujours une mauvaise nouvelle. Cela est dû non seulement à un recul de l'emploi, suffisamment déplorable en soi, mais aussi à une baisse du salaire hebdomadaire moyen.

> Les profits des entreprises fondent à vue d'oeil. Toujours en rythme annuel, les bénéfices des sociétés, avant impôts, sont passés de 30,1 milliards au troisième trimestre de 2008 à 25,8 milliards au trimestre suivant, pour chuter à 20 milliards au cours des trois premiers mois de 2009. Une culbute dramatique de 30% en 10 mois. Exécrable pour tout le monde: quand les profits ne sont plus au rendez-vous, les entreprises ralentissent leurs immobilisations et cessent d'embaucher (quand elles ne font pas des mises à pied), tandis que les recettes fiscales des administrations publiques dégringolent.

> Les épargnants, les petits investisseurs et les retraités qui comptent sur leurs revenus de placement mangent leurs bas. Les revenus d'intérêts, dividendes et autres placements ont chuté de 9% au premier trimestre, ce qui équivaut à une perte collective de 400 millions en trois mois.

> Dans un contexte aussi morose, il ne faut pas s'étonner de voir s'évaporer les investissements des entreprises. En rythme annuel, le recul observé au premier trimestre est de 32%. La nouvelle est beaucoup plus grave qu'il n'y paraît à première vue. Les gains de productivité (dont le Québec a bien besoin) sont étroitement tributaires des immobilisations des entreprises. Une diminution des investissements signifie que les entreprises québécoises seront de moins en moins capables de survivre dans un monde de plus en plus compétitif. Sombres nuages à l'horizon.

> Important recul également du côté de la construction: 14% de moins dans le secteur résidentiel, 15% de moins dans le non résidentiel.

> Ce flot de tristes nouvelles a évidemment un impact sur les finances publiques: les recettes provenant de l'impôt des particuliers sont à la baisse; les impôts des sociétés aussi; la taxe de vente aussi; les cotisations sociales aussi; les revenus de placement aussi. En fait, pour le gouvernement du Québec, les transferts fédéraux sont la seule source de revenus en hausse. À tout considérer, l'ensemble des recettes de l'administration publique québécoise, entre le dernier trimestre de 2008 et le premier de 2009 est passé de 21,1 milliards à 17,8 milliards. Une telle détérioration porte un coup extrêmement dur à des finances publiques hautement fragiles.

> Seul point plus ou moins positif dans ce désolant portrait: la balance commerciale du Québec s'est légèrement améliorée. Pourtant, les exportations ont poursuivi leur chute. L'amélioration est essentiellement due au fait que les importations diminuent encore plus vite que les exportations, ce qui n'est pas forcément un signal encourageant. Le Québec continue de traîner un déficit commercial de 25 milliards.

Et pourtant, et pourtant...

Quand on se regarde, on se désole; quand on se compare, on se console. Rarement l'adage aura-t-il été aussi pertinent.

Cela peut sembler curieux à dire après tout ce qu'on vient de voir, mais par rapport au reste du Canada, l'économie québécoise réussit finalement à se tirer assez bien d'affaire.

Au début du mois, Statistique Canada a publié les comptes économiques canadiens pour le premier trimestre (l'équivalent, au niveau national, des chiffres publiés hier par l'Institut de la statistique du Québec).

Nous avons vu que l'économie québécoise a été victime d'une contraction de 4,8% au premier trimestre. Dans l'ensemble du Canada, le chiffre équivalent est de 5,4%.

Ce n'est pas tout. Au trimestre précédent (octobre, novembre et décembre 2008), la contraction a été de 0,7% au Québec, comparativement à 3,7% au Canada.

Ces chiffres confirment ce que d'autres indicateurs économiques ont déjà établi: oui, le Québec est atteint par la crise, oui, son économie est en récession, mais le choc est moins brutal que dans le reste du Canada. L'Ontario a été frappé de plein fouet par la déliquescence de l'industrie automobile nord-américaine. L'Alberta a été prise de court par l'évolution des prix des ressources. La Colombie-Britannique, qui fournit les trois quarts des exportations canadiennes de bois d'oeuvre, ne réussit pas à se relever de l'effondrement de la construction résidentielle aux États-Unis.

Il est heureux que le Québec soit moins endommagé que le reste du Canada, mais on aurait tort de se réjouir du malheur des autres. Plus l'économie d'une province va mal, plus sa capacité fiscale diminue. Comme la péréquation est calculée en fonction de la capacité fiscale des provinces, les difficultés des provinces riches pourraient se traduire, pour le Québec, en une diminution des paiements de péréquation.