Restructuration judiciaire. Cette expression qui faisait frémir les gens d'affaires est entrée dans le langage de tous les jours depuis que le président américain Barack Obama la décrit sur toutes les tribunes comme une «opération chirurgicale rapide».

Ce que cette image sous-entend, c'est que l'entreprise malade sortira promptement des soins intensifs et retrouvera la santé. Le constructeur automobile Chrysler n'a-t-il pas échappé à l'emprise de ses créanciers en un court mois, malgré la frousse de dernière minute provoquée par des caisses de retraite de l'Indiana qui s'opposaient à cet arrangement?

 

Toutefois, si Chrysler redémarre avec le constructeur italien Fiat dans le siège du conducteur, il n'est pas dit que son moteur ne calera pas de nouveau. À preuve, la rechute d'Air Canada. Le transporteur semble avoir évité de justesse une seconde restructuration en cinq ans en négociant des accommodements avec ses principaux syndicats.

Dans le cas de Chrysler et de General Motors, de surcroît, les deux constructeurs avaient en main des ententes avec leurs principaux créanciers et syndicats avant d'avoir recours à la protection des tribunaux. Ententes arrachées in extremis, alors que l'Oncle Sam maintenait un fusil sur la tempe de toutes les parties.

Ce n'est généralement pas le cas. La désintégration de Nortel Networks, qui s'est confirmée vendredi avec la vente des activités en sans-fil à Nokia Siemens Networks, montre à quel point toute restructuration est périlleuse. Bref, la démarche n'a rien de banal.

Dans le cas de Nortel, la restructuration a fait fuir les derniers clients sans persuader les banquiers de lui accorder un financement intérimaire, l'oxygène de toute réorganisation. Presque par compassion, semble-t-il, la restructuration a mis fin à une longue agonie.

«Le démantèlement de l'entreprise n'est pas notre priorité», affirmait pourtant Mike Zafirovski, président et chef de la direction de Nortel, lorsque cet équipementier a fait appel aux tribunaux en janvier après avoir échoué à vendre certaines activités.

«Au contraire, ajoutait-il, nous comptons revenir comme une société techno plus leste, plus concentrée, plus forte.»

Cet Américain, qui a pris la tête de la vedette déchue des télécoms il y a quatre ans, était bien déterminé à ce que Nortel retrouve son lustre de la toute fin des années 90. À son sommet, l'entreprise comptait 95 000 employés et représentait près du tiers de toute la valeur boursière de la Bourse de Toronto. Mais les dommages causés à Nortel étaient quasi irréparables.

Le gonflement artificiel des ventes grâce à un crédit trop facilement octroyé aux clients. L'éclatement de la bulle techno. Les primes au rendement qui ont amené certains dirigeants à tripoter la comptabilité. La porte tournante à la direction. Les coupes et restructurations qui ont laissé l'entreprise exsangue et démoralisée...

Malgré les milliards dépensés en acquisitions et en R&D, Nortel a perdu son leadership et s'est retrouvée à la remorque de la révolution internet. Le genre de chose dont une techno ne se remet pas. Aucun plan de sauvetage n'aurait changé quoi que ce soi. De toute manière, Nortel n'avait pas le poids économique (et politique) pour forcer la main des gouvernements, contrairement à l'industrie ontarienne de l'auto.

Pour sauver les apparences, le gouvernement fédéral a offert 300 millions de dollars en financement à Nokia Siemens par l'entremise d'Exportation et Développement Canada, pour que ce repreneur maintienne 2500 emplois de Nortel au Canada et aux États-Unis.

A priori, Quebecor World ne semblait pas dans une meilleure posture lorsqu'elle s'est mise à l'abri de ses créanciers, en janvier 1998. Chose certaine, elle n'était pas plus susceptible d'attirer la sympathie des gouvernements.

Mais cette entreprise de 87 usines et de 19 000 salariés dispose d'atouts indéniables. L'une des raisons pour lesquelles l'imprimeur montréalais s'est mis en difficulté, c'est qu'il avait entrepris un ambitieux programme de modernisation. Depuis 2002, donc, Quebecor World s'est départi de ses vieilles imprimeries pour s'équiper des presses les plus rapides qui peuvent servir autant les éditeurs et que les détaillants. Mais les bienfaits de ces coûteux investissements ont tardé à se faire sentir.

Les imprimeries de Quebecor World en Amérique du Nord sont à la pointe de la technologie. Et l'imprimeur montréalais n'a plus à traîner le boulet de sa filiale européenne, qui imprimait à l'encre rouge. Ou à payer les intérêts sur une dette d'une lourdeur excessive. L'entreprise dirigée par Jacques Mallette, ancien chef de la direction financière qui a pris le relais de Wes Lucas en décembre 2007, a réussi à obtenir un financement intérimaire pour se restructurer. Cela a donné le temps à l'imprimeur de négocier un compromis avec ses créanciers. Compromis que les créanciers ont avalisé lundi.

Les conditions de l'industrie ne seront pas moins difficiles lorsque Quebecor World commencera sa deuxième vie, vers la mi-juillet. La concurrence dans cette industrie morcelée reste féroce. C'est d'autant plus vrai que la transition de l'imprimé vers l'électronique aggrave encore la surcapacité.

Mais être l'un des imprimeurs les moins endettés et les plus efficaces permettra à Quebecor World, alias Novink, de son futur nom, de tirer son épingle du jeu. C'est du moins l'espoir. Espoir que Nortel a complètement perdu.