Le Salon de l'aéronautique et de l'espace de Paris - le Bourget pour les intimes - va faire vrombir des avions dans le ciel de la banlieue parisienne jusqu'à dimanche. Mais pour ceux qui brassent de grosses affaires, le plus grand rendez-vous de l'année en aéronautique est déjà terminé.

Après deux ou trois journées de pourparlers intenses et de repas arrosés de grands crus, aux meilleures tables de Paris, les grands patrons des avionneurs et des compagnies aériennes sont déjà repartis aux quatre vents, en jets privés.

Le salon du Bourget se finit comme il s'est ouvert, dans la grisaille. Rares sont les constructeurs qui rapportent de grosses commandes dans leurs valises. Le contrat que Bombardier a décroché auprès du transporteur espagnol Air Nostrum, d'une valeur de 793 millions US - une vente intéressante, mais qui est très loin de fracasser un record - a de quoi faire baver d'envie le géant Boeing.

L'avionneur de Seattle, qui récolte habituellement des contrats se chiffrant dans les milliards de dollars, n'a reçu aucune commande digne de mention en aviation commerciale lors de la 48e présentation de ce salon. Aucune! En fait, si Boeing a retenu l'attention, c'est parce que l'avionneur a complètement raté le décollage de son Dreamliner 787.

Ce nouvel avion pour 250 passagers, entièrement construit en matériaux composites, accuse deux années de retard sur son échéancier en raison de problèmes de développement et de ratés de production. Les cracks en aérospatiale rêvaient néanmoins de voir le 787 voler au-dessus du petit aéroport du Bourget, au nord de Paris.

«Le premier vol est imminent», a encore promis hier Pat Shanahan, vice-président au développement des avions commerciaux de Boeing. En dépit de fortes pressions, Boeing a préféré bredouiller des excuses plutôt que de court-circuiter les tests et de précipiter le premier vol.

Son éternel rival Airbus en profite pour réduire l'écart qui sépare le Dreamliner de son nouveau A350, qui sera livré trois ans après le 787. Airbus, rappelons-le, avait préféré concentrer ses efforts sur son A380, le nouveau géant des airs, ce qui a permis à Boeing de prendre les devants et de faire le plein de commandes pour le 787, son avion le plus demandé.

Hier encore, Airbus a vendu 10 A350 à AirAsia X, un transporteur à rabais de Kuala Lumpur. Cela porte à 493 exemplaires le nombre de A350 en commande ferme. En comparaison, Boeing a vu son carnet de commandes pour le 787 s'alléger. À la suite des 58 annulations essuyées depuis le début de l'année (45 annulations nettes après déduction des nouveaux contrats), il s'établit maintenant à 865 commandes fermes.

Compte tenu de la récession, il ne faut pas s'étonner de ces annulations, alors que nombre de transporteurs luttent encore une fois pour leur survie. Du lot se trouve Air Canada, qui s'est engagé à prendre livraison de 37 avions 787 de Boeing. Disons que le transporteur montréalais n'est pas trop contrarié par les délais de livraison de l'appareil!

Pour éviter une crise de liquidités, le transporteur montréalais vient tout juste de négocier la paix avec ses syndicats. Il cherche aussi à obtenir un financement d'urgence de l'ordre de 600 millions de dollars, dont près du tiers viendrait du gouvernement fédéral. À ce sujet, lire le texte de mon collègue Martin Vallières en une de ce cahier.

Malgré tout, le champagne a coulé à flots cette semaine comme à toutes les autres années - c'était le 100e anniversaire de ce salon si l'on remonte aux débuts de cette grande foire française, en 1909, au Grand Palais de Paris. Mais, les avionneurs ne trinquaient pas tant pour sceller de nouvelles commandes comme pour convaincre leurs clients de ne pas descendre de l'avion.

Évidemment, pareil climat est mortel pour des entreprises qui désirent ardemment solidifier les commandes pour leurs avions en développement. C'est le cas de Bombardier avec sa future CSeries.

Qatar Airways a enfoncé le clou cette semaine en commandant 20 nouveaux avions de la famille A320 d'Airbus, les plus petits porteurs du constructeur européen. Or, Qatar Airways était justement pressenti pour être l'un des premiers clients de la CSeries. Toutefois, cette transaction ne s'est pas concrétisée, le chef de la direction de Qatar Airways, Akbar al-Baker, ayant évoqué des différends avec Bombardier qui portent autant sur le prix que sur les spécificités de l'appareil.

Ainsi donc, depuis le lancement il y a un an, seulement 50 exemplaires de la CSeries ont trouvé preneur, au total, auprès de deux clients, le transporteur Lufthansa et la société de nolisement irlandaise LCI.

Remarquez, Bombardier n'est pas la seule à souffrir de la morosité ambiante. Son nouveau concurrent japonais, Mitsubishi Aircraft, filiale de Mitsubishi Heavy Industries, peine à faire décoller sa nouvelle famille de jets régionaux. Lancé lui aussi en 2008, le MRJ regional jet n'a reçu qu'une seule commande. Et encore cette vente à All Nippon Airways ne porte-t-elle que sur 15 appareils.

À toute chose malheur est bon? Disons que c'est une façon de voir la chose.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca