Avec son offre d'achat surprise pour Quebecor World (t.iqw) , l'imprimeur américain R.R. Donnelley & Sons (rrd)  vient de faire un beau croc-en-jambe à son éternel rival québécois.

Après 16 mois de restructuration judiciaire, au Canada comme aux États-Unis, l'imprimeur voyait la lumière au bout du tunnel. L'entreprise fondée par Pierre Péladeau en 1954 espérait bien commencer sa seconde vie en juillet prochain.

Allégée du gros de sa dette, qui totalisait 2,9 milliards de dollars avant que l'entreprise ne se mette à l'abri de ses créanciers, Quebecor World rêve de retrouver sa gloire de jadis, lorsqu'il prétendait au titre de plus grand imprimeur commercial.

Pour ce faire, Quebecor World aspire à devenir l'un des imprimeurs les plus lestes de l'industrie. Après s'être finalement débarrassé de sa division européenne, qui imprimait à l'encre rouge, après avoir fermé ses imprimeries nord-américaines les moins rentables, Quebecor World n'a conservé que le meilleur. Ainsi, l'imprimeur ne compte plus que 87 usines et 18 800 employés, après avoir remercié le tiers de son effectif au 21 janvier 2008, lorsque le groupe a fait appel à la protection des tribunaux. Des employés qui ont accepté des baisses ou un gel de leurs salaires, pour rescaper leur entreprise.

Et c'est ce qui agace au plus haut point Donnelley, le grand imprimeur de Chicago, qui ne souhaite plus avoir Quebecor World dans les pattes.

Cela fait longtemps que Donnelley lorgne Quebecor World, un intérêt qui, au fil des ans, a maintes fois été éventé dans les médias. Dans sa lettre à la haute direction de Quebecor World, le président et chef de la direction de Donnelley confirme d'ailleurs que l'imprimeur américain a écrit à son rival québécois en août 2008 pour lui signifier son intérêt d'acquérir, en tout ou en partie, Quebecor World. Cette lettre, de même que les perches tendues par la suite, lors de conversations, sont toutefois restées sans réponse, note Thomas Quinlan III.

Cet intérêt tombe donc sous le sens, compte tenu des économies d'échelle évidentes entre les deux imprimeurs en Amérique du Nord. En cela, l'offre surprise de Donnelley ne représente pas un choc.

L'industrie de l'imprimerie souffre de surcapacité chronique. En toile de fond se trouve le déplacement de l'imprimé vers l'électronique. Mais ce problème s'est amplifié avec le ralentissement abrupt de l'économie. Or, les clients des imprimeurs (détaillants, éditeurs) sont archisensibles aux sautes d'humeur des consommateurs et des entreprises.

Conséquence: des guerres de prix dans presque tous les créneaux de marché, qui grugent les marges de profit.

Les imprimeurs ont beau réduire leurs capacités d'impression à qui mieux mieux, cette triste réalité semble toujours les rattraper.

C'est ainsi que les quelques joueurs dominants enfilent les acquisitions pour consolider cette industrie hautement fragmentée. Malgré tout, les quatre imprimeurs commerciaux les plus importants au monde, Toppan Printing, R.R. Donnelley, Dai Nippon Printing et Quebecor World, dans l'ordre, représentent moins de 10% du marché mondial, de plus de 401 milliards US en 2008, selon la firme Datamonitor.

Ce constat tient aussi en Amérique du Nord, même si Donnelley et Quebecor World dominent. Les 10 plus grands imprimeurs accaparent moins de 25% du marché.

Mais, est-ce que Donnelley est sérieux pour autant? Tout est dans le choix des mots, révélateur.

Thomas Quinlan III décrit l'offre de Donnelley comme une «manifestation préliminaire d'intérêt pour acquérir la totalité ou la quasi-totalité des éléments d'actif de Quebecor World.» Et à la toute fin de sa lettre, il précise que cette offre n'est pas contraignante d'un point de vue légal.

Et puis, cette offre peut difficilement être qualifiée de généreuse. À la demande du conseil d'administration de Quebecor World, la firme UBS a récemment estimé la valeur de Quebecor World à entre 1,25 milliard US et 1,75 milliard US, au sortir de la restructuration. Ainsi, l'offre de Donnelley, d'une valeur de 1,35 milliard US au comptant et en actions, se situe au bas de cette fourchette.

Ce sont les créanciers, et non les actionnaires, qui auront le fin mot de l'histoire. Si ceux-ci calculent que l'offre de Donnelley est plus alléchante, ils pourraient rejeter le plan de restructuration lors des assemblées des créanciers. Ainsi, Donnelley n'aurait qu'à attendre la faillite pour racheter les morceaux choisis à prix d'aubaine.

L'offre de Donnelley comprend une importante contrepartie en espèces, soit 700 millions US. Et cela pourrait intéresser certains créanciers qui, même s'ils ont accepté en principe la conversion de leurs dettes, doutent de l'avenir de Quebecor World.

En vertu de l'offre qui a été présentée aux créanciers, les banquiers recevront 85% de leur dû, alors que les simples fournisseurs devront se contenter de 50% de la valeur de leurs comptes à recevoir. Au terme de cet échange, les banquiers recevront des actions ordinaires, des actions privilégiées et des paiements d'intérêt.

L'offre de Donnelley est hypothétique. Et elle devrait passer l'épreuve des autorités antitrust, dont l'assentiment ne peut jamais être tenu pour acquis. Mais peut-être qu'elle sèmera un doute suffisant pour faire dérailler la restructuration. Ainsi, l'imprimeur américain semble vouloir jouer les fauteurs de trouble.

Une joute hautement divertissante s'il n'y avait pas un autre grand siège social de Montréal et des milliers d'emplois en jeu...

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