La semaine dernière, dans la ville de Columbus, en Géorgie, on a annoncé l'ouverture d'un nouveau restaurant, signalant du même coup l'embauche de 150 employés. Le matin des entrevues, pas moins de 800 personnes faisaient la queue dans l'espoir de décrocher un de ces 150 emplois. Cinq postulants pour un emploi disponible, dans un secteur comme la restauration...

L'histoire, qui a fait le tour du pays, illustre bien le désarroi où se trouve le marché américain du travail.

Hier, le Bureau of Labor Statistics a publié ses chiffres mensuels sur la population active. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les données sont terrifiantes. Voyons plutôt:

 

> En février, il s'est perdu 651 000 emplois aux États-Unis, ce qui porte le taux de chômage à 8,1%, du jamais vu depuis le début de 1983, c'est-à-dire au moment où l'économie américaine commençait à émerger de la dure récession de 1981-1982.

> Les pertes d'emplois de février s'ajoutent aux hécatombes de décembre (681 000 emplois perdus) et janvier (655 000). Ainsi, en trois mois, 2 millions d'Américains se sont retrouvés en chômage.

> Ces 2 millions de malchanceux viennent rejoindre les 3 autres millions qui avaient déjà perdu leurs emplois depuis février 2008. D'où ce résultat à faire dresser les cheveux sur la tête: en un an, le nombre de chômeurs aux États-Unis est passé de 7,4 à 12,5 millions. Oui, oui, vous avez bien lu: plus de 12 millions de chômeurs, et ce n'est pas fini.

> Pour réduire davantage leurs coûts de main-d'oeuvre, les employeurs sabrent aussi dans les horaires de travail. Les salariés qui conservent leurs emplois ne travaillent plus en moyenne que 33,3 heures par semaine, un record historique.

> Triste ombre pour compléter ce sinistre tableau: les travailleurs noirs, qui voyaient lentement mais sûrement leur situation s'améliorer depuis quelques années, ont pris toute une débarque depuis un an. Le taux de chômage chez les Noirs américains se situe maintenant à 13,4%, contre à peine 8% il y a un an. Chez les jeunes Noirs de 16 à 19 ans, le taux de chômage atteint le niveau intolérable de 39%.

De ce côté-ci de la frontière, tout cela peut avoir des conséquences dramatiques.

Un emploi sur trois, au Canada, dépend du marché américain. Chaque travailleur américain qui perd son emploi et vient grossir les rangs des chômeurs, cela fait évidemment un consommateur de moins, et donc un client de moins pour les exportateurs canadiens.

Vendredi prochain risque de déclencher un véritable tsunami. Ce jour-là, Statistique Canada publiera simultanément les résultats de son enquête mensuelle sur la population active et les chiffres du commerce international pour le mois de janvier. Ça risque de faire mal.

Sur le marché du travail, nous savons que l'année 2009 a bien mal commencé, avec 129 000 pertes d'emplois au Canada en janvier. Toutes proportions gardées, c'est pire qu'aux États-Unis.

En ce qui concerne les échanges avec l'étranger, l'année 2008 a fini sur une note lugubre. Pour la première fois en 45 ans, le Canada a enregistré en décembre un déficit commercial. Déficit relativement modeste, certes, à 458 millions, mais déficit quand même. C'est très grave: traditionnellement, les surplus commerciaux constituent un des points forts de l'économie canadienne.

Ce n'est pas tout. En temps de crise économique, le premier poste de dépenses que les ménages passent à la guillotine, c'est le loisir et les vacances. Cela n'annonce rien de bon pour la saison touristique cet été. Historiquement, le Canada a toujours eu un compte voyages déficitaire, surtout à cause de la popularité des destinations-soleil. Le secteur touristique compte donc sur la courte saison estivale pour réparer partiellement les dégâts, mais ce ne sera visiblement pas le cas cette année. Tant que le Canada dégageait de solides surplus commerciaux, le déficit touristique n'était pas préoccupant. Avec une balance commerciale déficitaire, la situation devient soudainement beaucoup plus inquiétante.

Mais quand donc, peut-on se demander, finira cette interminable descente aux enfers?

Personne ne possède de boule de cristal infaillible, mais il est certain que les choses ne s'amélioreront pas tant que les consommateurs américains vivront dans l'inquiétude de perdre leurs emplois, leurs maisons, leurs caisses de retraite. La clé de la reprise, c'est le niveau de confiance des consommateurs, et le moins qu'on puisse constater, c'est que l'heure est bien plus à la morosité et à la mauvaise humeur.

Et voici, pour terminer, une autre donnée qui risque d'accentuer le tsunami de vendredi: c'est également ce jour-là que l'Université du Michigan publiera son réputé indice de confiance des consommateurs. Brrrrr...