À quel moment a-t-on cessé de croire en Nortel? Difficile de mettre le doigt sur ce moment exact.

À quel moment a-t-on cessé de croire en Nortel? Difficile de mettre le doigt sur ce moment exact.

Est-ce quand on a réalisé que même Mike Zafirovski, un dirigeant de 54 ans avec une détermination hors du commun -il a déjà rencontré des analystes financiers quelques heures après avoir complété un triathlon Ironman- n'aurait pas la force herculéenne de sortir Nortel de son bourbier? Ou la vision pour lui donner une stratégie claire?

C'est la conclusion que tous ont tiré en septembre, lorsque le quatrième PDG de Nortel depuis 2000 s'est résigné à mettre en vente ce que d'aucuns considèrent comme le joyau de l'entreprise. La division Metro Ethernet Networks est pourtant promise à un bel avenir avec l'explosion en popularité des téléchargements vidéo par internet.

Est-ce quand Nortel a fini en 2005 par retraiter ses résultats financiers après de nombreux essais et reports? L'exercice mené sous l'autorité de l'amiral américain Bill Owens a révélé que l'ex-président Frank Dunn et ses lieutenants ont tripoté la comptabilité du géant canadien des télécoms, vraisemblablement pour bonifier leurs primes au rendement. La Gendarmerie royale du Canada a d'ailleurs accusé Dunn et deux autres ex-dirigeants de fraude, en juin.

Est-ce à force de regarder l'action de Nortel poursuivre sa longue et apparemment inexorable descente aux enfers? Ou à force de voir Nortel jouer de la hache avec son effectif?

Il est difficile de dire avec précision quand nous avons collectivement jeté l'éponge sur cette ancienne darling. Pourtant, les Canadiens en général et les Montréalais en particulier ont longtemps vécu dans le déni, entichés qu'ils étaient de Nortel.

Nortel, c'était l'entreprise cool pour laquelle tous les ingénieurs souhaitaient travailler à la sortie de l'université. Nortel, c'était l'un des employeurs les plus importants de la métropole -en nombre comme en qualité- avec son campus neuf de Saint-Laurent qui recrutait à pleines portes.

Nortel, c'est le fait d'armes de Jean Monty, qui a insufflé un nouveau souffle, au terme d'une restructuration pénible de 1993 à 1997, à la vieille Northern Electric&Manufacturing Company, fondée à Montréal il y a 113 ans. Nortel, c'était l'un des rares champions canadiens en haute technologie. Nortel, c'était le tiers de la capitalisation de l'indice phare de la Bourse de Toronto, au tournant de l'an 2000.

Mais Nortel a complètement dérapé, grisée par le succès que lui a procuré la révolution internet à la fin des années 90. Et le lien qui unissait les Canadiens à l'entreprise s'est cassé. Surtout que Nortel a clairement laissé savoir que son avenir passait maintenant par l'Asie, pour l'assemblage comme pour la R&D.

Si Nortel poursuit ses activités à l'abri de ses créanciers, avec le mince espoir de renaître, il n'est pas trop tôt pour autopsier l'entreprise, qui a succombé à sa mauvaise gestion.

Avant même que Frank Dunn ne maquille les livres, son prédécesseur, John Roth, avait multiplié les acquisitions. En vrai cowboy, il a claqué une fortune, soit 30,5 milliards US en actions et en liquidités, pour acheter 18 entreprises dont la valeur s'était presque évanouie après le krach des technos.

On a fait grand cas de la rémunération de John Roth, qui a frisé les 135 millions de dollars en 2000. Mais la cupidité était répandue dans cette entreprise qui distribuait beaucoup trop libéralement les options d'achat d'actions. À un certain moment, ces options représentaient 15% des actions en circulation, une proportion outrancière. Ici, le conseil d'administration a clairement manqué à ses responsabilités fiduciaires.

Pendant que Nortel était distraite par son scandale comptable, les enquêtes policières et les poursuites devant les tribunaux, l'équipementier a eu plus de mal à négocier les virages qui s'imposaient, alors que les technologies et les marchés se transformaient avec l'arrivée de nouveaux concurrents comme le groupe chinois Huawei Technologies.

Or, Nortel était beaucoup trop dépendante de ses lucratifs contrats auprès des grandes compagnies de téléphone à qui elle vendait de coûteux réseaux de télécommunications traditionnels (par commutation de circuits). L'entreprise a vu venir la montée de la téléphonie IP mais a mésestimé l'impact qu'auraient ces contrats plus frugaux sur ses finances, avec les difficultés que l'on connaît.

Les clients de Nortel ont été pris de doute. Dans le contexte, il n'est pas étonnant que Nortel n'ait pas réussi à faire de grande percée dans le créneau des réseaux pour grandes entreprises, le fief de l'équipementier américain Cisco. D'ailleurs, en cherchant à vendre la division Metro Ethernet Networks, Nortel nuit encore plus à ses chances de devenir le fournisseur de choix des entreprises qui souhaitent mettre à niveau les capacités de leurs réseaux de télécommunications.

C'est une chronique infiniment triste pour les 30 000 derniers employés de Nortel au pays et ailleurs. Mais, alors que l'entreprise se réfugie derrière la protection des tribunaux, la plupart des Canadiens avaient déjà fait leur deuil de Nortel.