La question ne préoccupe certainement pas beaucoup le nouveau président des États-Unis ce matin, mais nous, de ce côté-ci de la frontière, devrions y réfléchir un peu: quelles seront les relations entre Barack Obama et Stephen Harper?

La question est plus qu'anecdotique; elle dépasse de loin le simple potinage, surtout en période tourmentée.

De tout temps, les relations entre les premiers ministres canadiens et les présidents américains alimentent les chroniques politiques et fournissent aux spécialistes des relations internationales matière à analyse sur les liens entre les deux pays.

Pas facile pour une fourmi de vivre à côté d'un éléphant. Nous sommes, bien sûr, alliés, amis, partenaires commerciaux de notre puissant voisin. Mais nous sommes aussi souvent adversaires idéologiques, notamment sur les questions de l'Irak ou de Cuba et, jadis, sur celle du Vietnam.

De même, les relations interpersonnelles entre nos leaders ont souvent été distantes, froides même.

Lors de sa seule visite officielle à Ottawa, en 1961, John F. Kennedy avait oublié dans la salle où il avait rencontré John Diefenbaker un carnet de notes dans lequel le premier ministre avait trouvé les lettres «SOB» (son of a bitch, fils de pute en français).

Insulté, M. Diefenbaker avait alors menacé Washington de rendre l'impair diplomatique public si le président Kennedy ne faisait pas des concessions dans le dossier de la défense aérienne du Nord.

Évidemment, JFK n'avait pas bronché, peu impressionné par les menaces du premier ministre canadien. Informé de l'affaire par ses conseillers, JFK avait répondu, condescendant et frondeur: «Il est impossible que j'aie écrit que Diefenbaker était un fils de pute dans mon carnet puisque je ne savais pas encore à ce moment qu'il en était un.»*

Fin de l'épisode JFK-Diefenbaker.

Les rapports n'étaient pas plus chaleureux entre Richard Nixon et Pierre Elliott Trudeau, le premier ayant aussi traité de (décidément) «fils de pute» le second dans un enregistrement capté par le système interne de la Maison-Blanche.

Le président Nixon a toujours été irrité par l'opposition de Pierre Trudeau à la guerre du Vietnam et par ses accointances avec le président cubain Fidel Castro.

Par la suite, Brian Mulroney a entretenu des relations cordiales (trop, disait-on même au Canada à l'époque) avec les présidents Ronald Reagan (avec qui il a signé le libre-échange) et avec George Bush père (avec qui il aimait bien aller à la pêche).

Dans les années 90, Jean Chrétien et Bill Clinton s'entendaient généralement bien, surtout pour disputer une partie de golf, et malgré le fait que Jean Chrétien avait déjà laissé échapper, dans un micro resté allumé, que le président américain était toujours en retard et que les politiciens américains devaient donner des ponts et des bouts de route pour se faire élire.

Rien de majeur, toutefois, entre les deux hommes. Ça s'est gâté après 2001, entre Jean Chrétien et W. Bush.

D'abord parce que le Canada a refusé de suivre son voisin en Irak, puis, ce qui n'a pas aidé, parce que la directrice des communications de M. Chrétien avait déclaré à un journaliste canadien que le président Bush était un «crétin» (moron).

Plus proches idéologiquement, George Bush et Stephen Harper avaient davantage d'atomes crochus. Tellement que W. appelait notre premier ministre «Steve» (au lieu de Stephen), une familiarité que ne tolère habituellement pas M. Harper.

De quoi sera faite, maintenant, la relation entre Barack Obama et Stephen Harper? Et plus généralement, entre Washington et Ottawa?

Le fait que le nouveau président ait décidé de se poser au Canada pour sa première visite à l'étranger est bon signe.

Autre bon signe: Hillary Clinton, secrétaire d'État, qui a insisté la semaine dernière sur l'importance des échanges entre son pays et le Canada.

Souhaitons, toutefois, que Mme Clinton ne revienne pas sur ses déclarations post-11 septembre, quand elle avait laissé entendre que des terroristes profitaient de la porosité des frontières canadiennes pour entrer aux États-Unis.

Quant aux priorités de Barack Obama, elles sont intimement liées aux nôtres. D'où l'importance d'envoyer les bons signaux.

Selon des proches du nouveau président, cités notamment par politico.com, les 100 premières heures (pas JOURS, mais bien HEURES!) seront consacrées au plan d'urgence contre la crise économique, à la fermeture de Guantánamo et à la suite des choses en Irak et en Afghanistan.

Qui dit crise économique, dit industrie de l'automobile. Le gouvernement du Canada, par la voix de son ministre de l'Industrie, a déjà fait savoir aux travailleurs de ce secteur qu'ils devront réduire leurs salaires et avantages s'ils espèrent obtenir de l'aide d'Ottawa.

Barack Obama, dans son discours inaugural, hier, a vanté les mérites des Américains «prêts à gagner moins d'argent pour sauver les emplois de leurs collègues».

Par ailleurs, qui dit fermeture de Guantánamo dit Omar Khadr. Et qui dit Irak et Afghanistan dit renfort pour nos troupes à Kandahar.

Deux autres points chauds à surveiller entre les deux capitales: le sort du libre-échange et la vente du pétrole albertain aux États-Unis.

Dans le premier cas, on sait que Barack Obama a déjà critiqué l'ALENA et même menacé de le réformer.

Dans le second, l'engagement du nouveau président en faveur de ressources énergétiques «propres» ne colle pas à l'exploitation des sables bitumineux.

Les conservateurs le savent; c'est pourquoi ils avaient dépêché des ministres au congrès démocrate à Denver, au mois d'août, pour «vendre» le pétrole du nord de l'Alberta.

* Dans les mémoires de Ted Sorensen, Counselor, publiés en 2008.

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