Il avait 60 ans la première fois qu'il a accroché ses patins pour céder sa place à Robert Brown puis à Paul Tellier. Mais Laurent Beaudoin n'aura pas profité longtemps de cette demi-retraite.

Il avait 60 ans la première fois qu'il a accroché ses patins pour céder sa place à Robert Brown puis à Paul Tellier. Mais Laurent Beaudoin n'aura pas profité longtemps de cette demi-retraite.

La récession de 2001 aux États-Unis, les attentats terroristes du 11 septembre, le cauchemar de l'intégration du fabricant ferroviaire Adtranz, la concurrence féroce de l'avionneur Embraer et la longue dégringolade du titre en Bourse l'auront vite ramené aux commandes de Bombardier.

Laurent Beaudoin vient tout juste de célébrer ses 70 ans. Et pour la seconde fois, il cède la direction de l'entreprise fondée en 1942 par son beau-père, Joseph-Armand Bombardier. C'est Pierre Beaudoin, son fils de 46 ans, qui prend le relais, comme si cette entreprise avec des revenus de 17,5 milliards et un effectif de 60 000 employés n'était qu'une petite affaire familiale!

Mais, de son propre aveu, Laurent Beaudoin ne s'éloignera pas vraiment de son bureau du boulevard René-Lévesque. L'entreprise s'apprête à parier son avenir sur la CSeries, une nouvelle famille d'avions commerciaux qui nécessiteront des investissements de 3,2 milliards de dollars américains. Décrocher ne fait pas partie du vocabulaire de cet entrepreneur.

N'empêche que la voix de Laurent Beaudoin s'est cassée sous l'émotion, hier matin, alors qu'il lisait ce qu'il convient d'appeler un texte d'adieu. Ensuite, les actionnaires se sont levés pour l'ovationner.

«Ces 45 années sont passées trop vite. Je me sens comme si c'était hier», confiera-t-il plus tard. Le teint légèrement basané, Laurent Beaudoin avait d'ailleurs l'air beaucoup plus en forme que sur la photo grisonnante du rapport annuel.

Assis dans cette salle froide et impersonnelle de grand hôtel, les actionnaires ont mieux compris la décision-surprise de leur verser un dividende.

La somme de 2,5 cents par action ordinaire est si modeste qu'elle paraît symbolique. Il n'empêche que cela coûtera 175 millions de dollars canadiens par année pour verser ce dividende, trimestre après trimestre.

C'est une somme non négligeable pour une entreprise qui cherche encore à nettoyer son bilan et à rétablir sa réputation auprès des agences de notation de crédit, qui maintiennent Bombardier à un cran de l'investissement de qualité (investment grade).

Mais, clairement, Laurent Beaudoin ne voulait pas quitter la direction de Bombardier sans redonner un petit quelque chose aux actionnaires qui ne reçoivent plus de dividende depuis quatre ans. Ils l'ont suivi durant cette traversée du désert.

Laurent Beaudoin peut partir sans honte. Ce géant des transports a retrouvé l'erre d'aller qu'il a perdue au début des années 2000. Vrai, à 8,90$ (+9,1% hier), le titre est encore à des années-lumière de son sommet de 26,30$ touché en 2000. Mais les résultats d'hier ont épaté les analystes financiers.

Et avec un carnet de commandes record de 55,5 milliards de dollars en date du 30 avril, l'entreprise a deux bonnes années d'ouvrage devant elle.

Mais avec le ralentissement de l'économie nord-américaine et le choc pétrolier qui heurte de plein fouet les transporteurs aériens et les propriétaires de jets privés, c'est à se demander si Bombardier ne connaîtra pas un nouvel épisode sombre. Laurent Beaudoin devra-t-il revenir une troisième fois?

Non, assure en substance Laurent Beaudoin, pour qui cette fois, c'est la bonne. Avec ses percées en Europe et en Asie, Bombardier est beaucoup moins vulnérable aux aléas de l'économie américaine qu'elle ne l'était par le passé. Et avec son éventail de produits, autant en matériel roulant qu'en aviation, Bombardier pourrait bien se tirer d'affaire, explique Pierre Beaudoin, nouveau chef de la direction.

Ses avions turbopropulsés, peu gourmands en carburant pour les vols de courte distance, ont tellement retrouvé la faveur des transporteurs que Bombardier songe à étirer son appareil le plus grand, le Q400, qui peut accueillir jusqu'à 78 passagers.

C'est sans parler de la CSeries sur laquelle Bombardier fonde beaucoup d'espoirs. Avec un baril de pétrole à 122$US et des poussières, ces avions commerciaux de 110 et de 130 passagers pourraient remplacer plus rapidement les vieux DC9, MD-80 et Boeing 737 de plus petite taille.

La division transport pourrait aussi profiter de la conjoncture. «Plus que jamais, le climat est favorable aux trains», a noté André Navarri, président de Bombardier Transport.

Évidemment, il est question ici de l'Europe et de l'Asie. Pas de l'Amérique du Nord, où les trains de marchandises ont généralement priorité sur les trains de passagers.

«Je suis plus optimiste qu'il y a trois ans», a tout de même admis André Navarri.

Mais Laurent Beaudoin ne semblait pas partager cet optimisme, même timide, sur les marchés nord-américains. «Peut-être qu'à l'avenir, il y aura plus d'investissements. Mais, jusqu'à maintenant, cela a été une bataille acharnée», a-t-il dit en anglais.

Il y avait même une pointe d'amertume chez Laurent Beaudoin, ce qui est plutôt inhabituel chez cet homme d'affaires. «Nous avons fait des propositions en Floride, au Texas, et jusqu'à maintenant, nous n'avons jamais senti de volonté politique. Pas plus d'ailleurs qu'au Canada, où nous avons fait nombre d'études sur un TGV entre Montréal et Toronto.

«En fait, a ajouté Laurent Beaudoin, la seule façon que le train rapide puisse arriver ici, c'est si un parti politique en fait sa priorité.»

Voilà, le message est lancé.