Il faut donner quelque chose à Stéphane Dion: en choisissant de privilégier le dossier de l'environnement, il a frappé en plein dans le mille. Trois semaines après la publication de son Tournant vert, le document suscite toujours beaucoup d'intérêt.

Il faut donner quelque chose à Stéphane Dion: en choisissant de privilégier le dossier de l'environnement, il a frappé en plein dans le mille. Trois semaines après la publication de son Tournant vert, le document suscite toujours beaucoup d'intérêt.

On peut être d'accord, on peut critiquer, mais le fait est que le programme du chef libéral continue de faire jaser. C'est quelque chose: le plus souvent, ce genre d'annonce fait l'objet d'une solide mais brève couverture médiatique puis, happé par le maelström de l'actualité, tombe plus ou moins dans l'oubli dans les jours qui suivent.

M. Dion propose de taxer les gros pollueurs et d'utiliser le produit de la taxe pour financer des baisses d'impôts aux contribuables et aux entreprises. De la sorte, la mesure serait fiscalement neutre.

Samedi, dans cette chronique, j'ai écrit que la nouvelle taxe, au bout du compte, pénalisera l'ensemble des consommateurs. Les entreprises visées par la taxe sur le carbone (pétrolières, centrales thermiques, producteurs agricoles, secteur manufacturier, administrations publiques) réagiront comme n'importe quel entrepreneur qui fait face à une augmentation de son coûtant: elles ajusteront leurs prix en conséquence. Et la facture sera salée.

Selon les propres calculs des libéraux, la taxe rapportera 15 milliards de dollars la quatrième année d'application, mais ce montant est le résultat d'une estimation extrêmement prudente. Autrement dit, le plan vert remettra 15 milliards aux contribuables, mais soulagera les consommateurs de 15 milliards.

Vous avez été nombreux, chers lecteurs, à réagir à cette chronique, et ce qui ressort clairement de vos lettres, c'est un immense sentiment de méfiance. Vous avez du mal à y croire, c'est aussi simple que cela. À vous la parole:

M. Aubry: «Je ne pense pas que nous ayons les leaders politiques pour vendre aux électeurs une hausse importante du prix des carburants induite par de nouvelles taxes. Si les dirigeants politiques à Ottawa sont absolument incapables d'être transparents dans des dossiers aussi clairs et petits que le retrait de la pièce d'un cent, comment voulez-vous qu'ils le soient dans un dossier important comme la réduction des GES?»

Mais ce n'est pas ce qui suscite le plus de scepticisme. Tous les sondages montrent que les citoyens ont développé un niveau de cynisme sans précédent à l'égard des politiciens. Si j'en juge d'après vos lettres, ce cynisme atteint aussi les fonctionnaires. Vous ne croyez pas à la neutralité budgétaire du programme vert libéral, et vous avancez un excellent argument.

M. Poirier: «J'ai lu le livre vert de M. Dion, et il ne dit pas un seul mot sur les coûts administratifs de son programme.»

M. Cloutier: «Il est tout à fait illusoire de prétendre que, pour chaque dollar perçu, nous obtiendrons ce même dollar. La machine gouvernementale est formidablement bien rodée pour gaspiller tout ce qu'elle touche. Dans le meilleur des mondes, peut-être recevrons-nous un retour de 80% la première année, pour sombrer aux alentours de 30% au bout de cinq ans, soit le délai requis pour complexifier outrageusement la machine de perception afin de la rendre totalement inefficace.»

M. Gingras: «Nos fonctionnaires vont probablement échapper en cours de route une proportion de 30 à 50% des sommes impliquées. Je tremble à l'idée de leur confier une somme qui, d'après vos calculs, pourrait atteindre une valeur annuelle de 22 milliards. Une telle gestion fédérale typique impliquera donc, en fin de compte, un appauvrissement collectif de quelque 10 milliards en paperasse, conférences, voyages et contrôles inutiles.»

Et M. Gingras rappelle le ruineux dérapage du registre des armes à feu, le désastre de Mirabel, l'épouvantable gestion des pêcheries et le scandaleux programme des commandites. Il aurait aussi pu ajouter le gouffre financier de Canadian Airlines, l'incohérente politique énergétique nationale des années Trudeau, les erreurs de calcul de Revenu Canada, qui ont chamboulé les finances des provinces (elles-mêmes étant loin de fournir le bon exemple pour ce qui est de garrocher l'argent des contribuables par les fenêtres).

On peut trouver que ces propos sont durs. Après tout, de nombreux fonctionnaires font leur travail avec compétence et honnêteté.

N'empêche: les dérapages ont été tellement nombreux que nous en sommes rendus là.

En ce qui concerne le Tournant vert de M. Dion, nos correspondants ont raison sur le fond. Il n'y a aucun doute qu'il va falloir mettre en place une importante machine bureaucratique pour gérer le programme. Il va falloir mettre en place des mécanismes d'inspection, de contrôle, de perception, de comptabilité, d'administration, de vérification. Tout cela coûte cher, et ce sera effectivement autant d'argent dont les contribuables ne verront jamais la couleur.