Il n'y a pas que les employés de Northwest Airlines et de Delta Air Lines qui étaient scotchés à leurs écrans pour disséquer chaque mot lors la conférence de presse qui annonçait mardi la création du plus grand transporteur aérien au monde.

Il n'y a pas que les employés de Northwest Airlines et de Delta Air Lines qui étaient scotchés à leurs écrans pour disséquer chaque mot lors la conférence de presse qui annonçait mardi la création du plus grand transporteur aérien au monde.

À la direction de Bombardier Aéronautique, à Dorval, comme au siège social de Bombardier inc., boulevard René-Lévesque, on attendait de connaître les détails - qui n'en sont pas - avec un intérêt tout aussi vif.

Northwest est le deuxième client de l'avionneur montréalais. Au fil des ans, il a commandé 178 avions à Bombardier dont 19, des jets régionaux de 90 sièges, doivent encore être livrés.

La vente de ce transporteur serait une perspective autrement plus préoccupante pour Bombardier si l'acquéreur, en l'occurrence Delta, n'était pas un grand fan de ses avions.

Sa division Delta Connections est le troisième exploitant d'avions régionaux de Bombardier. Il a commandé 168 appareils, dont 24 restent à livrer, ici encore des CRJ900 construits à Mirabel.

C'est sans parler de Comair, propriété de Delta à part entière. Ce transporteur établi à Cincinnati, en Ohio, exploite 130 jets régionaux de Bombardier.

Officiellement, donc, Bombardier se réjouit prudemment de cette transaction. «On ne veut pas spéculer sur leurs décisions futures, mais cela pourrait être positif à long terme, puisque ce sont deux clients de longue date», dit son porte-parole Marc Duchesne.

Toutefois, la réalité est beaucoup moins nette. Si elle se concrétise, cette transaction fragilise Bombardier. Trois de ses quatre plus gros clients ne sont plus qu'un seul, aussi enthousiaste soit-il envers Bombardier.

Ainsi, si Delta devait éventuellement préférer un autre fournisseur ou reporter ses achats de jets régionaux, ses décisions auraient des répercussions autrement plus lourdes.

C'est sans parler de la diminution du rapport de force de Bombardier dans ses négociations, ce qui n'est jamais bon pour les profits. En effet, les prix affichés ne veulent rien dire dans cette industrie où les escomptes de volume se négocient en secret.

Déjà, le chef de la direction de Delta, Richard Anderson, qui conservera son poste après la fusion des deux entreprises, a annoncé un grand ménage dans la collection de transporteurs régionaux.

Delta en compte huit, dont Comair, tandis que Northwest en compte trois, dont Mesaba et Compass. Réunis, ces transporteurs exploitent 690 avions.

«Lorsque la transaction sera conclue, nous allons optimiser autant le nombre de nos transporteurs que leurs liaisons aériennes, pour en faire un réseau plus efficace et plus rentable», a dit Richard Anderson mardi.

Delta a déjà entrepris ce ménage. Avant l'annonce, le transporteur établi à Atlanta avait prévu réduire de 10% sa capacité d'ici août. Cela se traduira par le remisage de 20 avions commerciaux et d'autant d'avions régionaux. Qui plus est, l'entreprise a reporté à 2009 la livraison de trois CRJ900 de Bombardier.

Bref, la forme que prendra le nouveau réseau régional de Delta sera déterminante pour Bombardier. Pour le meilleur ou pour le pire.

L'autre grand point d'interrogation, c'est l'intérêt que portera la super Delta pour le CSeries, l'avion commercial que Bombardier espère lancer d'ici la fin de l'année.

Northwest Airlines a été le premier transporteur à afficher son intérêt pour cette nouvelle famille d'avions pour 110 ou 130 passagers, au Salon aéronautique international du Bourget, en juin 2007. Mais ce n'est plus Northwest qui aura le fin mot de l'histoire, mais son acquéreur, Delta. Or, Delta n'a pas soufflé mot de son intérêt pour cet appareil.

Les choses s'annoncent bien dans la mesure où Delta compte se servir des 7 milliards de liquidité des deux compagnies aériennes réunies pour donner un coup de jeune à son parc d'avions.

Elle compte acquérir des avions qui offrent des fauteuils-lits horizontaux de même que des systèmes de divertissements personnalisés avec vidéo à la demande. Mais pour le reste, Delta reste évasive - ce qui est de bonne guerre pour un acheteur d'avions.

Il tombe sous le sens que Delta considère avec sérieux la CSeries pour remplacer à compter de 2013 ses vieux appareils d'une centaine de sièges.

Surtout que l'avion de Bombardier promet des économies appréciables en carburant, le principal poste de dépense de Delta, d'autant plus que le baril de pétrole a fracassé un autre record hier en passant la barre des 114 $ US.

Le hic, c'est que Delta aura bien d'autres chats à fouetter avant d'en arriver là. Comme on dit par chez nous, c'est maintenant que le fun commence!

Delta devra faire approuver par les autorités antitrust cette transaction qui créera un géant avec des revenus combinés de 31,7 milliards de dollars et un effectif de plus de 77 000 salariés.

Et elle devra tenter de se rallier les pilotes de Northwest, qui craignent de faire les frais de la fusion des listes d'ancienneté. Comme on l'a vu lorsque Air Canada et les Lignes aériennes Canadien International ont fusionné, cela annonce des discussions très houleuses

Delta espère avoir bouclé l'affaire d'ici six ou huit mois. Mais on s'approche dangereusement de la date butoir de fin d'année que Bombardier s'est donnée pour prendre une décision de lancement pour la CSeries.

Peut-être que les trois autres entreprises qui ont manifesté de l'intérêt suffiront, soit Lufthansa, Qatar Airways et une société de location. Mais ce serait franchement mieux d'avoir le premier transporteur mondial à son bord.