Les journalistes économiques vont encore courir les palais de justice la semaine prochaine.

Les journalistes économiques vont encore courir les palais de justice la semaine prochaine.

Lundi, à la Cour fédérale du district nord de l'Illinois, à Chicago, l'ancien magnat de la presse Conrad Black recevra sa sentence. Reconnu coupable de fraude et d'entrave à la justice, il est passible de 35 années de prison.

Mardi au palais de justice de Montréal, le juge Claude Leblond, de la Cour du Québec, décidera du sort de Vincent Lacroix.

Ce financier fait face à 51 chefs d'accusation pour avoir dévalisé les comptes des quelque 9200 petits investisseurs qui avaient confié leurs économies à Norbourg.

Dans ce dernier cas, toutefois, il n'y a à peu près aucun suspense. Non seulement Vincent Lacroix a-t-il renoncé à se défendre, mais il s'est incriminé en cour!

«La preuve qui a été entendue montre que tous ces retraits sont irréguliers. J'étais lié à tous ces retraits indirectement ou directement», a-t-il admis à la fin de son procès.

Même s'il est plus jeune que Lord Black de Crossharbour, Vincent Lacroix pourrait lui aussi passer le reste de ses jours en prison -du moins en théorie.

En effet, depuis que le gouvernement du Québec a durci sa Loi sur les valeurs mobilières, en 2002, chaque infraction peut entraîner une peine de cinq années moins un jour de prison.

Comme il y en a 51, il est passible de plus de 250 années en tôle! Il est ici le suspense, étant donné que la peine qu'imposerait le juge Leblond fera jurisprudence.

Ces deux procès retentissants qui connaissent leur dénouement au même moment donnent à penser que justice est enfin servie au Canada comme aux États-Unis.

Mais si Vincent Lacroix doit lui aussi enfiler la combinaison du prisonnier, il ne sera pas coupable d'un crime. Juste d'une infraction.

En quoi voler des petits investisseurs est-il différent de faire sauter le coffre-fort d'une banque? Ce n'est pas une nuance ou un détail, c'est une question de principe.

Comment se fait-il que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) n'ait pas encore déposé d'accusations criminelles?

Après tout, les avocats que l'Autorité des marchés financiers a retenus dans ce dossier se sont servis de documents en possession de la GRC; c'est ce corps policier qui avait mené les perquisitions. Comment se fait-il que ce soit si long?

La réponse toute simple, c'est que la GRC s'en fout. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est Nick Le Pan, ancien surintendant des institutions financières, dans un scoop qui n'en est pas un.

Le gouvernement conservateur a confié à M. Le Pan le mandat d'examiner les fameuses équipes intégrées de la police des marchés financiers (EIPMF).

Ces escouades policières avaient été créées en 2003, à la suite du scandale Enron, pour mettre la main au collet des plus grands fraudeurs à cravate.

Bien sûr, M. Le Pan n'emploie pas un langage aussi franc, mais c'est la conclusion à laquelle on en vient en lisant son rapport de 93 pages rendu public par la GRC cette semaine.

«Les critiques légitimes à l'égard des EIPMF concernent surtout l'absence de résultats. On se demande si le programme et ses partenaires sont habités du sentiment d'urgence nécessaire pour connaître du succès», écrit Nick Le Pan en dénonçant l'absence de leadership et le désintérêt de la haute direction de la GRC.

La GRC a créé neuf escouades spéciales à Toronto, à Montréal, à Vancouver et à Calgary. Elles ont véritablement démarré en 2004. Or, en près de trois ans, elles ont lancé 13 enquêtes d'envergure et 34 autres investigations de moindre importance.

Or, seulement cinq dossiers ont débouché sur des accusations et un seul sur une condamnation.

Aux États-Unis, en comparaison, la Corporate Fraud Task Force créée par le président américain en 2002 a obtenu 500 condamnations ou plaidoyers de culpabilité pour des infractions criminelles en deux ans.

Nick Le Pan relève que même dans un dossier aussi complexe que celui du courtier en énergie Enron, il a fallu 18 mois pour accuser 19 personnes, dont les cadres de la haute direction.

Au Canada, en comparaison, il s'est écoulé 2,8 ans en moyenne du début de l'enquête jusqu'à aujourd'hui pour les dossiers encore incomplets.

Il est vrai que le cadre juridique permet de procéder plus rondement aux États-Unis et en Angleterre qu'au Canada. Mais cela n'excuse pas tout, selon Nick Le Pan.

Or, à la création des équipes intégrées, la GRC avait promis de mener les enquêtes à terme dans un délai d'un an!

Les équipes ont déjà les budgets pour recruter plus de personnel mais souffrent de désaffection, avec le cinquième des 142 postes autorisés à combler.

«Bien que l'affectation de fonds supplémentaires s'impose, cela ne donnera rien si l'on n'améliore pas le leadership, la gestion et la surveillance», écrit Nick Le Pan.

Il faut espérer que les ministres Stockwell Day (Justice) et Jim Flaherty (Finances) qui ont commandé ce rapport prendront le temps de parcourir ses recommandations, même si sa lecture (dans la version française du moins) est laborieuse.

Surtout le ministre Flaherty. Parce que si la GRC faisait correctement son travail, si les fraudeurs canadiens se faisaient épingler, il ne nous bassinerait plus avec l'urgence de créer une commission des valeurs mobilières nationale.