L'Allemagne est en récession. Mais, en dépit des critiques nombreuses, la chancelière Angela Merkel refuse obstinément de dépenser des milliards pour relancer la première économie européenne. Immobilisme ou sagesse?

En Allemagne, de nombreux restaurants, supermarchés et même deux grands détaillants d'appareils électroniques n'acceptent pas les cartes de crédit. On paie avec des euros sonnants ou, à la limite, avec sa carte bancaire. Sinon le client devra aller ailleurs.

Et la bulle immobilière, qui s'est nourrie de crédit bon marché et qui a gonflé les prix des maisons aux États-Unis, en Espagne et au Royaume-Uni avant d'éclater, a largement épargné le marché allemand.

D'ailleurs, les banques allemandes ne consentent pas, sauf dans de rares cas, des prêts hypothécaires équivalant à 100% de la valeur d'une propriété.

Bref, emprunter à tout va sans penser au lendemain n'est pas un trait marquant de la «culture allemande», explique Bertrand Benoit, chroniqueur à Berlin pour le Financial Times. Un profond attachement à des «vertus économiques» – comme la prudence et la frugalité – guide plutôt le comportement de nombreux Allemands, dit-il.

Cela expliquerait, du moins en partie, pourquoi le gouvernement d'Angela Merkel hésite à puiser sans retenue dans les fonds publics pour relancer l'économie. Alors que plusieurs pays cherchent de nouvelles façons d'injecter de l'argent dans leurs infrastructures ou leurs entreprises, l'Allemagne a choisi la prudence... extrême.

Merkel la chiche

L'Allemagne est la première économie d'Europe et la quatrième du monde. Malgré les succès de la Chine, c'est aussi le premier exportateur de biens de la planète. Mais le géant allemand vient d'entrer en récession.

Le moral des chefs d'entreprises est au plus bas depuis 1993. Les faillites augmentent. Et l'industrie automobile s'attend en 2009 à la plus forte baisse des ventes «de son histoire» en Allemagne, selon le regroupement de fabricants GAAI.

En dépit des critiques de ses partenaires européens qui jugent sa réaction trop frileuse face à la crise, Mme Merkel ne bronche pas. Elle a réaffirmé la semaine dernière qu'elle n'avait pas l'intention d'ouvrir grand les cordons de la bourse pour relancer une machine en panne.

Pour le moment, Berlin s'en tient à un plan de sauvetage de 500 milliards d'euros (900 milliards CAN) pour le secteur financier. Sauf que ce plan n'a pas attiré autant de banques que prévu et nombre d'entre elles continuent de prêter au compte-gouttes.

«Course absurde»

Le gouvernement garde aussi intact son programme de stimulation fiscale de 50 milliards d'euros. Et ce, même si celui-ci ne représente que 0,5% de l'économie et est jugé insuffisant par des économistes, qui demandent trois fois plus d'argent pour aider les ménages allemands.

Dans un récent discours lors du congrès de son parti, le CDU, la chancelière est restée sourde à ces appels. Mme Merkel assure qu'elle suit la situation de près. Des ajustements de sa politique économique sont possibles, a-t-elle ajouté du bout des lèvres. Mais c'est tout.

«Nous n'allons pas prendre part à une compétition où chacun tente de faire mieux que les autres, avec une liste sans fin de nouvelles propositions, dans une course absurde aux milliards», a déclaré la dirigeante allemande. Ses propos semblaient viser le président français, Nicolas Sarkozy, et plusieurs partenaires occidentaux qui critiquent la stratégie allemande.

Reste que la tension monte. «C'est comme si Angela Merkel voulait arrêter le monstre de la crise financière avec une tapette à mouches», clame un responsable de l'opposition.

Entre-temps, les perspectives s'assombrissent. L'OCDE prévoit un recul de l'économie allemande de 0,2 à 1% l'an prochain. Cela viendrait aggraver la contraction de 0,5% subie au troisième trimestre 2008.

Le gouvernement s'est aussi mis à dos la presse allemande. L'hebdomadaire influent Der Spiegel écrivait récemment en couverture qu'«Angela manquait de cran», l'accusant de courir des risques pendant que le pays vogue vers sa pire récession depuis des décennies.

Malgré tout, Angela Merkel demeure populaire auprès des Allemands, selon des sondages. C'est là un point important.

Car, avec des élections nationales prévues dans huit mois, elle gardera vraisemblablement le cap.

L'Allemagne n'a donc pas l'intention d'imiter les États-Unis et le Royaume-Uni, qui dépenseront des centaines de milliards pour sortir leur économie du fossé.

La prudence plutôt que la dépense. Avec le temps, le savoir-faire allemand et une gestion saine des finances publiques, les choses vont s'arranger. Voilà la stratégie Merkel.

Discutable, certes. Mais on voit s'orchestrer deux stratégies, situées aux antipodes, en ces temps de crise.

Accusé lui aussi d'immobilisme face à la crise économique, le premier ministre Stephen Harper a donc un allié de l'autre côté de l'Atlantique. Le duo Harper-Merkel a-t-il choisi la bonne voie? Seul le temps nous le dira.